La Rafle, la claque.

Par Lilicastille


" Il y a des sujets qui calment" : c’est avec cette phrase que Roselyne Bosch a imposé le silence avant la projection du film.
Des sujets qui calment le superflu et qui nous mettent nus face à nous-mêmes. Oui.
C'est comme ça que je me suis trouvée à poil devant La Rafle et que j'ai pris une grosse claque.  BAM ! Enorme claque !
Je vous passerai volontiers le laïus sur le devoir de mémoire car il ne s'agit pas que de ça. Plus encore, je préfère évoquer le devoir de SAVOIR pour les jeunes générations Facebook et Nintendo.
Alors je le dis tout de suite (pour pouvoir passer à autre chose) : OUI, la Rafle doit être vu, puisque nous portons tous cette faille au plus profond de nous. Rappelez-vous l'ouvrage d'Arnaud Amouroux : 40 
millions de pétainistes et ayez le courage de ne pas passer outre.

Mais si le sujet "calme" toute critique et s'impose comme tellement juste en soi (j'attends le discours du gouvernement lors de la sortie en salle, que je joindrai à mon billet), plus encore La Rafle mérite d'être vu en tant que film.  
 




 

Jean RENO   Mélanie LAURENT  Gad ELMALEH Raphaëlle AGOGUE

SORTIE NATIONALE LE 10 MARS 2010
 

Soyons clairs, ce que j'ai moins aimé :
- L'interprétation de Gad Elmaleh que pourtant j'aime beaucoup mais que j'ai cru déguisé tout au long du film. Une prestation sans véritable épaisseur et toute en retenue,  même si le personnage est passéiste et trop gentil. Une expression botoxée peut-être par la pression d'un premier rôle dramatique et la volonté de faire oublier son passé de comique extraverti. Toutefois, on retrouve avec joie un peu de vie à la fin du film, lorsque l’acteur a peut être fini par prendre ses marques et qu'il esquisse une danse avec sa compagne d'infortune, mais on a l'impression qu'il s'agit d'un  un mouvement qui lui aurait échappé. En somme, on est très loin du Coluche de Tchao Pantin. Dommage.
- Le gros fil de pathos tendu avec ce petit ange au cheveu sur la langue que les voisines adorent et qui glorifient la mère pour "ne pas l'avoir raté celui-là". Le bambin-tire-larmes que toute femme en age de procréer adopterait illico, on s'en serait peut-être bien passé.

-Les personnages historiques français : Pétain, Laval, Bousquet que j’ai trouvés trop pédagogiques et un peu superficiels.

Ce que j’ai vraiment aimé : les très belles interprétations d’Hugo Leverdez et Mélanie Laurent, les fondus entre fausses archives et fiction, l’incroyable reprise du Vélodrome d’hiver, l’immense travail de recherche et de témoignages qui a donné lieu à la naissance au film.
Ces réserves étant clarifiés, j'ai eu l'immense privilège de m'entretenir avec Roselyne Bosch, ancienne journaliste d'investigation et réalisatrice du film :
LC :  J’ai  été  particulièrement  impressionnée  par  les séquences filmées à l’intérieur  du  Vélodrome, une sorte d’Arène  romaine  de  mise  à mort magistralement  filmée  en  particulier par une lente contre-plongée terrifiante  et glaçante de réalisme. Un mix génial entre péplum et La Cité des  enfants  perdus de Genet. Une géante ampoule purilente qui gonfle sous le  pied  de  la  France.  Je  conseillerais  à  quiconque  de  voir le film  uniquement  pour  ces sublimes  images. Je comprends mieux  ce que tu voulais dire lorsque tu as évoqué  la dimension épique du film. J'aurais aimé en savoir un peu plus sur ces les scènes et reprises du Vélodrome.
 As-tu eu recours à des effets spéciaux pour rendre compte de l’espace dans son ensemble ?
Roselyne Bosch : Oui, chère blogueuse. Nous avons reconstitué un quart du Vel d’hiv en “de vrai”, grace à mon génial décorateur, Olivier Raoux. Puis nous avons demandé à Duboi, spécialistes des effets spéciaux, de créer les trois autres quarts manquants. Ce qu’ils ont fait en .... six mois, sur leurs ordinateurs. Cela n’est pas supposé se voir, mais lorsque la caméra “monte” dans les cintres du Velodrome d’Hiver, passé les six cents figurants, tout ce que l’on voit est en FX. Les petits personnages qui bougent vivent, montent et descendent les marches, sont en somme des personnages “animés”.Même pas de vrais silhouettes clonées. Non. De “vrai” faux comédiens. Par milliers. C’était un travail de Titan. Ils l’ont sublimement réalisés.
LC : Sublimement, vraiment. Un grand moment de cinéma et de mémoire. Je pense que ces images vivront d'elles-mêmes.
La scène des Pompiers, ultimes garants de la Justice (et de la France
idéalisée ? ) est-elle réelle ou bien  imaginaire ?
Roselyne Bosch: La scène des pompiers est non seulement réelle, mais elle m’a été racontée par l’un des pompiers lui meme, Fernand Baudvin, 90 ans aujourd’hui. Je l’ai retrouvé par mon enquête. Il m’a raconté l’héroisme incroyable du Capitaine Pierret, joué par Thierry Frémond dans le film. Ils étaient une demi douzaine de pompiers a peine, et ont réellement fait dérouler les lances, passés des heures à distribuer de l’eau, et recueillis à eux seuls des centaines de messages qu’ils sont allés poster incognito le lendemain depuis des points différents de Paris pour ne pas éveiller les soupçons de l’administration. Il y a eu plus. Un des pompiers qui était alors en congés s’appelait Ruben. Il était Juif, bien sur. Alors le capitaine Pierret à envoyé Fernand le prévenir à son domicile, en lui recommandant de ne pas se représenter a la caserne. Ce jeune pompier juif a pu fuir avec sa mère en Espagne.
Pierret est alors entré en résistance, fournissant les plans des installations militaires allemandes aux alliés, ce qui a conduit à des bombardements sur Paris, ce que bien sur Fernand regrettait à postériori, en raison des pertes humaines que cela occasionna.
LC: Merci de nous faire croire encore à l'humanité et d'avoir parsemé ton film de scènes "humaines" qui nous aident à avancer et à croire que l'humanité existe. Celle-ci en fait partie. Je trouve le rôle et la symbolique des pompiers très fortes et tellement salvatrices... Figure-toi qu'aujourd'hui encore, d'après une étude de Sciences-Po (CEVIPOF), les pompiers seraient parmi les premiers détenteurs de la confiance populaire, bien avant les hommes politiques...
Après la projection, tu as fait allusion à ce vieil homme qui, dans les premières scènes à l’intérieur du Vélodrome, souhaite que l’on transmette sa nouvelle adresse à sa famille. Cette anecdote n’en est finalement pas une puisque elle relève de la nature même du film : un mélange entre narration historique et fiction. Pourrais-tu me dire quelques mots sur ce vieil homme et sa famille ?
Roselyne Bosch : Ce vieil homme s’appelle Joseph Weismann. Il est le “vrai” Jo du film. C’est a dire que c’est bien lui qui, à dix ans, s’est évadé du camp de Beaune la Rolande en compagnie d’un autre petit garçon du même age.
Ce Joseph est “mon survivant”. Celui qui ayant tou vécu, la rafle, le Vel d’Hiv, puis la gare d’Austerlitz, puis le camp de Beaune la Rolande et son évasion, m’a permis de rencontrer un témoin qui m’a raconté toute cette période si tragique. Période ou il a été séparé, comme il est montré dans le film, de ses parents et de ses soeurs à coups de crosse : il ne les a jamais revu. Il a appris par le mémorial de la shoah que chacun de ses parents fut déporté et gazé a Auschwitz par un convoi différent, pendant le mois d’”aout 1942.
Joseph (le vrai) était venu nous rendre visite sur le plateau (dans le décor du veld ‘hiv) et je lui ai demandé de faire un peu de figuration, en compagnie de son petit fils; pour le symbole.
LC : L’autre dimension qui m’a intéressée dans le film mais qui m’a aussi posé problème est le téléscopage volontaire entre documentaire et fiction, à l’instar de ces plans où le document d’archive (ou le faux document d’archive) et fiction reconnue "se fondent" l’un dans l’autre. Le rendu est très fort, très pédagogique, mais la véracité historique est-elle exact pour autant ?
Roselyne Bosch : Il  n’y a pas de documents d’archives original dans le film, à moins que vous ne vouliez parler des images de hitler à paris sur lequel ouvre le générique de début?
LC : Oui.
Roselyne Bosch: Pour le reste, les aspects “politiques “, c’est à dire Pétain et Laval, seuls dans leur hotel de Vichy, ou encore Hitler sur la terrasse sont des “reconstitutions”.
Pour Pétain et Laval, personne d’autre n’étant là, je me suis fondée sur les commentaires que l’un comme l’autre avait fait à des collaborateurs.
Pour Hitler, je me suis fondée sur l’interrogatoire des deux ordonnances de Hitler, après la chute de Berlin, qui ont décrit par le menu les habitudes, les manies, les phobies de Hitler. Et sur les images que Eva Braun, compagne d’hitler, puis sa femme à la fin, a tourné elle-même sur la fameuse terrasse du Berghof. Je voulais montrer l’intimité de Hitler, comme celles des familles qu’il va déporter, comme celle de Pétain et Laval à Vichy.
Si la question est : est-ce exact?  La réponse est “’oui” pour les faits.  Le marchandage humain entre Bousquet et Knochen et Oberg a bien eu lieu, au 31 avenue Foch. On connaît les propos qu’ils ont tenu grace aux comptes rendus qu’en ont fait les allemands à Berlin. Et qui se sont retrouvées dans les archives allemandes, d’ou les historiens les ont tirées.
LC : Comment a démarré ton  travail de recherche ? Quel a été ton parcours d’investigation ? Quels documents-clé ont guidé ton travail ?
Roselyne Bosch: Les documents ont été de toutes natures :  lettres d’enfants jetées des trains, lettres d’enfants écrivant depuis Beaune la Rolande, alors que leurs parents ont déjà été déportés, lettres des infirmières à leur famille décrivant le Vel d’hiv, puis les camps(comme lettres de Paule Fétiveau, l’une des infirmières de Beaune, ou la pharmacienne internée Lucie Braumann), journaux intimes d’internés retrouvés après guerre et donnés au Mémorial de la Shoah, documentaires filmés, contenant des interviews de rescapés morts depuis, les interviews filmées et radiophoniques de Annette Monod (personnage joué par Mélanie Laurent), interviews de médecins déportés mais ayant survécu, comme le Dr Henri Russak, témoignage “vivant” de Hannah Traube, aujourd’hui âgé de 88 ans, qui est bien sortie du Vel dhiv comme montré dans le film grâce à Gaston Reoques, le plombier qui y débouchait les toilettes. Le témoignage vivant de Joseph Weismann, de Fernand Baudvin le pompier, les documents d’archives fournis par Serge Klarsfeld, les minutes des procès des collabos après guerre, notamment ceux concernant le procès par contumace du Capitaine Vieux, du camp de Drancy, les documents d’archives de l’administration française de la préfecture du Loiret, racontant jour par jour la vie au camp de Beaune les incidents, les morts, l’état sanitaire, ... 
LC : un vrai travail d'historienne en sorte. Merci pour ce film qui restera dans nos mémoires et qui, je l'espère, sera diffusé dans les écoles, pour ce devoir de savoir duquel on ne saurait se passer. MERCI.