De ce petit film qu'est La Boulangère de monceau, qui ne dure qu'une vingtaine de minutes, on retient que dès ses premiers pas de cinéaste - dès son premier conte moral - Rohmer a essayé de saisir la temporalité comme telle, sans se laisser obnubiler par une iconographique statique ou par une action en fuite. Selon le procédé qu'il reprendrait dans La Collectionneuse, le héros est aussi narrateur de l'histoire, donnant des airs de chronique ou de nouvelle à cette histoire, plus que de conte. Le temps, dans La Boulangère de monceau, c'est le rituel, la répétition. Tout d'abord la régularité des rencontres avec une jeune fille inconnue, qui se trouve brisée le jour où il la heurte et lui adresse la parole. Pour la retrouver, il s'impose de nouvelles règle, bientôt transformées en habitudes, et qui passent par un saut à la boulangerie, pour acheter toujours le même sablé - toujours en échangeant des regards avec la boulangère. Petit à petit, l'objet de ces promenades solitaires se déplace: il cherche moins à retrouver sa beauté mystérieuse qu'à réussir son passage dans la boulangerie. Cette boulangère, c'est l'action du temps, c'est le rituel qui se substitue à l'apparition. Mais Rohmer manie aussi la rupture, dans une sorte d'anti-morale au conte: tout ce rituel lui aura en fait servi, sans le savoir, à faire sa cour à l'autre jeune fille, la première apparition - et à lui rendre son culte. Dans La Boulangère de monceau, nous avons déjà un Rohmer qui sait manier subtilement l'attendu et l'inattendu, donnant au temps l'allure familière et surprenante des rues parisiennes.
De La Carrière de Suzanne, un peu moins séduisant, on retiendra surtout le sourire fuyant de Suzanne, qui cristallise une autre relation au temps - celle des situations trompeuses et des carrières indéchiffrables.