Le nouveau-né est démuni car il a absolument besoin de son entourage pour vivre.
A fortiori, un nouveau-né prématuré a besoin de son entourage pour survivre car leur présence influence son désir de vivre. Mais en plus, notre petit bébé a besoin de machines, parfois, certaines machines sont même nécessaires à sa survie, et, les ingrates, elles ne nous le font jamais oublier avec leurs alarmes stridentes. Ainsi, pour que vive ma petite Diane, nous comptons sur un appareil qui l’aide à respirer, pendant les premiers jours de sa vie.
Bébé, parents, machines, un trio conduit par le travail des puéricultrices dont la douceur et la sensibilité aide la mise en route de ce système contre-nature.
Couveuse, sonde gastrique, dispositifs de surveillance et leurs alarmes, atmosphère surchauffée et sèche, lumière crue… Nos bébés sont nés « grands prématurés » et nous empoignons violemment ce nouveau monde.
Nos bébés sont des « grands prématurés ». Si on considère cette annonce froidement, ils ont 75 % de chance de survie. Ils ont donc une probabilité de 25% de m*****. Les pronostics sont réservés, une hémorragie cérébrale peut survenir à n’importe quel moment. Le cerveau et les poumons ne sont achevés que le dernier mois.
Quand on vit ce type d’expérience, douloureuse et lourde, on est accablé de mille angoisses qui nous attire dans un puits sans fonds. Tout notre être s’enlace autour de la vie de notre enfant -pour nous, nos deux enfants- et plus rien n’existe ni avant ni après. Les journées sont longues, mais c’est ce qui fait des mois rapides, pense t-on pour se donner du courage.
On est accablé par cette expérience une fois qu’elle est derrière nous, comme si le passé voulait se rappeler à nous, pour pointait les douleurs que l’on a pas voulu regarder en face.
Mon cerveau a cessé de fonctionner quand je suis rentré dans le service des soins intensifs. Comme la personne qui me précédait, je me suis habillée et laver les mains. Comme la personne qui me précédait, j’ai regardé le tableau pour savoir qui de Véronique ou Carole s’occupait d’Agnès aujourd’hui. La personne qui me précédait savait ou était son bébé. Moi non, je rencontrais mon bébé pour la première fois.
Son nom est inscrit sur une porte, dans une petite voiture avec des étoiles.
Quel beau prénom.
J’entre, la fenêtre est face à moi, je vois sur ma droite une couveuse recouverte d’un drap blanc. Il y a un petit sticker jaune, avec inscrit Agnès et sa date de naissance.
Je m’approche. Je ne pense à rien. Mon être est tout entier attiré dans les abysses insondables du néant.
Je soulève le drap blanc.
Telle une fleur qui viendrait d’éclore, je vois un bébé, un tout petit bébé, dodue et poilue comme une chenille. Elle étend ses jambes comme le ferait un petit rat d’opéra qui s’échaufferait. Qu’elle est belle.
Je commence à lui parler doucement, pour lui dire que je l’aime, que je m’excuse de ne pas être venue avant, que sa petite sœur est dans un autre service et qu’elle se bat comme elle. Je suis submergée par l’émotion, j’aimerai tant la serrer dans mes bras et l’embrasser, j’aimerai tant lui faire comprendre qu’elle peut compter sur moi pour toute la vie…
Mais peut-elle compter sur moi ?
Déjà, je sens la tête qui tourne et les oreilles qui hurlent, je me sens quitter la réalité ; je serre les fesses pour ne pas perdre connaissance, pas maintenant alors qu’elle est là et qu’elle attend de moi l’amour dont elle a besoin pour vouloir vivre. Je me mets à chialer de honte, je dois la quitter du regard pour trouver une chaise ou quelque chose contre quoi m’appuyer.
Une puéricultrice entre et comprend, elle me fait asseoir.
Je me re-saisis, à coup de grandes baffes dans la gueule, pas de pleures, pas de faiblesse, un bébé, mon bébé est doté d’une grande sensibilité et ressentirait mon désarroi… Ce n’est pas de ça dont elle a besoin.
Je demande à la puéricultrice si je peux avoir Agnès dans les bras.
- « Non, me dit-elle, vous n’êtes pas en état. Si vous tombez dans les pommes, je ne pourrai en rattraper qu’une. »
- « D’accord. »
Que dire d’autre ? Elle a raison, je n’étais pas en état. Livide et hagarde, une vraie folle pas encore prête pour être maman.
Elle m’aide à mettre la chaise en face de la couveuse, laquelle est sur-élevée si bien que je ne vois rien. La puéricultrice me dit que je peux mettre une main dans la couveuse, mais il faut bien me la désinfecter avant.
Je m’exécute. Je ne sais pas trop ou poser ma main. Il y a des fils partout, la sonde, les linges sont pliés d’une manière si élaboré pour caler le bébé… que je ne sais que toucher, je ne trouve pas sa peau… Puis, je sens une chaleur, une petite boule de douceur, moite et lisse, un peu poilue tout de même. Je pose ma main. La puéricultrice me dit de ne pas la caresser, un petit bébé appréciera d’avantage une légère pression.
Je m’exécute.
Je lui dis que je l’aime. Je lui chante la « canción del oso ». Je lui dis que je suis un peu malade mais que je serai bientôt en forme car les médecins disent que je n’ai rien. Je lui dit que je suis fière d’elle, de sa beauté, de ses jolis coups de pieds, les mêmes qu’elle me faisait dans le ventre. Je lui pardonne tout.
Je reste assise. Ma tête semble se fracasser contre un mur de granite. Mes mains sont gonflées, si gonflées qu’elles me font mal, je sens mon pouls rapide et fort. Je me sens partir.
Je me relève. Je crois que je lui fais plus de mal que de bien, à être là, luttant contre moi-même… Rien de sérénité, rien de confiance, que de la peur…
Je me sens mal. Je rappelle la gentille infirmière pour qu’elle vienne me chercher. Je reviendrai cette après midi avec ma maman, mon meilleur supporter.
A suivre...