La biodiversité, un enjeu écologique et économique fondamental pour notre survie

Publié le 19 février 2010 par Penserdurable

Nous sommes encore peu informés des effets provoqués par le déclin de la biodiversité, tandis que le GIEC et le sommet de Copenhague, très médiatisés, nous ont sensibilisés aux conséquences du changement climatique. « 2010, année de la biodiversité » est donc une belle initiative lancée par l’ONU. Mais à quoi sert la biodiversité ?

Qu’est-ce que la biodiversité ?

Le terme de biodiversité a été employé en 1985 par Rosen comme une contraction de « diversité biologique ». Elle désigne la variabilité des êtres vivants et s’apprécie en considérant l’information génétique contenue dans chaque unité élémentaire de diversité : un individu, une espèce, une population, un écosystème et l’ensemble de toutes les relations entre eux. Les dynamiques entre êtres vivants entrent dans la biodiversité, car elles ont une importance fondamentale : il y a plus de bactéries symbiotes dans le corps humain que de cellules humaine dans le corps humain ! Comme le dit Gilles Boeuf – spécialiste de la biodiversité et président du Muséum National d’Histoire Naturelle – l’homme ne peut pas se passer du biologique : nous ne mangeons que du biologique et nous ne coopérons qu’avec du biologique.

La biodiversité regroupe plusieurs champs d’études et d’applications :

  • les mécanismes biologiques à l’origine de la diversité naturelle, avec la paléobiologie, étude de la vie des temps passés permettant de reconstituer l’histoire des êtres vivants, et la phylogénie, étude de la formation et de l’évolution des organismes vivants en vue d’établir leur parenté
  • l’écologie fonctionnelle, axée sur la biocomplexité et la biogéochimie ; elle étudie les fonctions des organismes et des écosystèmes en interaction avec leur environnement (flux d’éléments et d’énergie)
  • la nature « utile » pour les ressources génétiques, alimentaires, cosmétiques, pharmacologiques et comme modèle d’inspiration pour la recherche
  • les stratégies de conservation des patrimoines naturels pour les générations futures

Évaluer la diversité biologique

Si les scientifiques s’accordent sur ce qu’est la biodiversité, en pratique elle est très difficile à évaluer : chaque jour, les scientifiques découvrent de nouvelles espèces animales et végétales qui existaient déjà depuis des millions d’années, pendant que d’autres, connues ou non, disparaissent selon un processus de sélection naturelle. On connaît maintenant 1,5 millions d’espèces terrestres et 300 000 espèces marines. Ce différentiel est dû au fait que le milieu océanique, très stable, est propice à la vie mais pas à la spéciation. Malgré tout, 90% du volume des êtres vivants se concentre sur 10 km de profondeur dans les océans.

Il demeure très difficile d’estimer le nombre d’espèces aujourd’hui ; entre 10 et 30 millions, 100 millions ? Les collections des Museums d’Histoire Naturelle sont des missions pour répertorier les variétés et prévoir l’impact du changement global. Cependant, on n’a pas le temps de décrire tous les êtres vivants avant de sauver ce qui peut l’être : selon le Millenium Ecosystem Assessment de 2005, les 2/3 des espèces auront disparu en 2100. Car à cause de l’homme, le rythme d’extinction des espèces est actuellement 1 000 fois supérieur au rythme naturel ; si on ne fait rien, ce nombre se portera à 10 000. Par exemple, 7% des oiseaux en France ont disparu en un siècle.

Mesurer la biodiversité, ça n’est pas seulement répertorier des espèces et compter des individus, même si ce sont des indices intéressants. Car ce qui importe pour les biologistes, c’est la diversité génétique et la circulation des gènes. Le meilleur choix de conservation de la biodiversité consiste donc à assurer la sauvegarde du plus large pool génétique possible sur des habitats suffisamment représentatifs et interconnectés pour que les échanges de gènes restent possibles.

Relation entre le nombre d'espèces et la taille des organismes - Source Wikipedia

Les dommages de l’homme sur la nature

La biodiversité a explosé et plongé suivant les périodes géologiques, chutant parfois de 95% à cause de l’activité volcanique ou d’une météorite. Mais cette fois, c’est l’homme qui est une cause majeure d’extinction, par des facteurs directs ou indirects :

  • la raréfaction de l’eau douce
  • la destruction des milieux naturels au profit de l’agriculture et de l’urbanisation
  • la pollution de l’environnement
  • les émissions de gaz toxiques ou à effet de serre induisant la hausse des températures, l’acidification des pluies et des océans, ainsi que la montée du niveau de la mer
  • la dissémination et l’introduction d’espèces invasives
  • la surexploitation de certaines espèces (chasse et pêche)

Certaines espèces disparues sont alors devenues emblématiques :

Dauphin de Chine disparu en 2007

le moa - 1500, chassé par les Maoris ; l’auroch - 1627, exterminé par la chasse ; le dodo de l’Ile Maurice – 1681, ses nids furent pillés par les espèces invasives ; le grand pingouin – 1844, chassé par les marins ; le pigeon migrateur – 1914, massacré par les paysans européens ; le tigre de Tasmanie – 1936, éradiqué par les éleveurs de moutons ; le tigre de la Caspienne – 1972, chassé et ayant perdu son habitat naturel ; le crapaud doré – 2004, victime supposée du réchauffement climatique ; le dauphin de Chine – 2007, dont l’habitat a été altéré par la pollution du fleuve Yangzi Jiang et le barrage des Trois Gorges.
Quant à l’Ile de Pâques et à la Mer d’Aral, ce sont des tragédies écologiques provoquées par l’homme. Les oiseaux constituent un cas particulièrement préoccupant : 40 % des espèces d’oiseaux ont un état de conservation défavorable en Europe et 20% sont menacées d’extinction. En 2008, la France métropolitaine et d’Outre-mer comptait 75 espèces menacées d’extinction, dont 12 espèces en danger critique d’extinction.

Les réactions naturelles à l’érosion de la biodiversité

Lors des grandes radiations, certaines populations s’adaptent aux nouvelles conditions et profitent du bouleversement de la chaîne alimentaire pour se développer. D’une certaine manière, on peut donc considérer que le milieu naturel réagit à l’agression en favorisant l’apparition d’espèces. On constate ainsi que l’extinction d’espèces par l’homme crée une certaine biodiversité sous la forme d’une grande variété de micro-organismes, dont des bactéries parfois pathogènes. Cela peut devenir un problème si on se souvient que les deux seules fois où la population humaine a diminué dans l’histoire, c’était à cause des maladies infectieuses.

Ainsi les disséminations incontrôlées dans de nouvelles régions procurent de nouveaux hôtes aux parasites, aux bactéries et aux virus : on se souvient que les épidémies d’origine européenne ont été la première cause de mortalité chez les Amérindiens. Quant au réchauffement climatique, il permet la remontée des maladies tropicales dans certaines régions jusque là protégées ; c’est le cas du chikungunya ou du choléra, virus transmis par le moustique. Enfin dans les hôpitaux, les maladies nosocomiales se développent en partie à cause du manque de biodiversité : la flore bactérienne de chaque patient, une fois en contact avec l’environnement stérile et les antibiotiques, se modifie sous la pression de sélection. Les germes vainqueurs dominent ce milieu hostile, prolifèrent et résistent aux antibiotiques, créant parfois des menaces pour la santé publique.

Que nous apporte la biodiversité et comment la protéger ?

D’un point de vue opérationnel, et selon les termes de la Convention sur la diversité biologique adoptée lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992, la biodiversité reste une priorité scientifique : nous devons appréhender sa genèse, comprendre ses fonctions et enrayer son érosion. C’est de plus un enjeu économique, avec des ressources biologiques et génétiques à valoriser et utiliser de manière durable ; par exemple, 15000 molécules utilisées dans les biotechnologies ont été trouvées dans les organismes marins. C’est aussi un enjeu social – le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. Et ça reste un problème éthique, avec le droit à la vie des espèces.

Pourquoi protéger la biodiversité biologique ? Les services d’origine écosystémique comprennent :

  • des services de prélèvement tels la nourriture, l’eau, le bois de construction ou de feu, l’oxygène que nous respirons
  • des services de régulation qui contrôlent le climat, les inondations, les déchets, la qualité de l’eau, certaines maladies – ainsi la biodiversité diminue le risque d’invasion d’espèces ; de plus, le récif coralien a protégé Sumatra lors du tsunami de 2006
  • des services culturels qui procurent des bénéfices récréatifs, esthétiques, spirituels
  • des services d’auto-entretien tel que la formation des sols, la photosynthèse, les grands cycles biogéochimiques – la biodiversité joue donc un rôle dans la productivité agricole

Edward Wilson écrivait en 1992 que « la biodiversité est l’une des plus grandes richesses de la planète, et pourtant la moins reconnue comme telle ». En effet, la protection de la biodiversité est aujourd’hui un enjeu majeur, dont nous prenons tout juste conscience. Les moyens de conservation résident dans :

  • la sauvegarde d’espaces naturels avec la mise en place de zones de protection. Mais les forêts primaires, non remaniées par l’homme et abritant 75% de la biodiversité, sont désormais très dispersées ; on en trouve en Amazonie, dans le bassin du Congo, en Mélanésie et dans quelques pays d’Asie. En Europe, seules 1 à 3 % des forêts sont considérées comme n’ayant pas été modifiées par l’homme.
  • la préservation des grands équilibres écologiques, à quelque échelle que ce soit – habitat, forêt, région, monde…
  • la conservation « hors site » – jardins botaniques et zoologiques, aquariums, élevages, banques de graines ou de gènes

Dès lors nous devons peser les bénéfices de la biodiversité face à l’utilisation irréfléchie des ressources naturelles, si nous voulons éviter de graves dysfonctionnements biologiques aux conséquences désastreuses et imprévisibles sur nos sociétés et nos économies. Quel coût environnemental est-on prêt à payer pour exploiter le nickel de la Nouvelle-Calédonie, alors que les trois quart des espèces qui y vivent ne se trouvent nulle part ailleurs ? Dans l’agriculture, les engrais et les pinceaux pourront-ils remplacer les organismes producteurs d’humus et les insectes pollinisateurs ? Quelle perte économique représente la déforestation des forêts primaires ? Faut-il satisfaire la demande actuelle en thon rouge de Méditerranée au risque de vider la mer de ses poissons ?
Les réponses paraissent évidentes, et pourtant…

Cet article est inspiré de plusieurs sources, dont une excellente conférence de Gilles Boeuf que je vous invite à visionner.  Et si vous aimez ce billet, vous aimerez sûrement « La planète en danger » ainsi que « Une solution à la gestion dramatique des sols et de l’agriculture française ».