Le Québec ne mérite pas Lucien Bouchard

Publié le 19 février 2010 par Politicoblogue

C’est un coup de tonnerre soudain dans le ciel politique québécois. Non pas parce que ce que ce qui s’est dit est nouveau en soi – tout était déjà dans le manifeste des « Lucides » -, mais bien parce que c’est Lucien Bouchard qui a parlé. L’ampleur de la couverture médiatique des propos est égale à l’ampleur du personnage, le tribun de 1995, le fondateur du Bloc Québécois, le premier ministre de la crise du verglas et du déficit zéro. Mais surtout, parce que les commentaires sont si peu dignes – dans la forme comme dans le propos – de la stature du personnage et arrivent à un si mauvais moment. Est-il nécessaire de les reprendre, ad nauseam, ici ? Selon Bouchard, la souveraineté n’est pas atteignable, le Parti Québécois sous Pauline Marois se « radicalise » au point même où René Lévesque n’y reconnaîtrait plus son propre parti. Voilà autant d’affirmations, balancées en quelques phrases et au gré des échanges d’un colloque, qui ont fait couler en quelques heures beaucoup, mais beaucoup d’encre…

Option Québec

On a souvent tendance à citer, à tort ou à travers, la mémoire de René Lévesque au sein du mouvement souverainiste. Il suffit d’allumer un lampion au fondateur du Parti Québécois et hop ! l’on se drape dans la sacro-sainte vertu du père fondateur. Selon l’ancien premier ministre Bouchard, le PQ aurait repris la niche du « radicalisme » laissée vacante par l’ADQ (n’avait-elle pas été abandonnée par le PQ de Boisclair ?) sur l’identité nationale, le rendant inquiétant à ses yeux et peu fidèle au parti fondé par Lévesque. Je suis allé dans ma bibliothèque ce matin pour ressortir mon exemplaire d’Option Québec, lecture que je recommande à tous de temps à autre. Puisque l’on cite Lévesque à toutes les sauces, il serait peut-être à propos de revenir aux sources, au premier chapitre de l’essai qui porte le titre, évocateur en ce qui nous concerne, de « Nous autres ». Voici ce qui y est dit sur la langue et l’identité :

C’est par là que nous nous distinguons des autres hommes, de ces Nord-Américains en particulier, avec qui nous avons sur tout le reste tant de choses en commun. Cette « différence » vitale, nous ne pouvons pas l’abdiquer. Il y a fort longtemps que c’est devenu impossible. Cela dépasse le simple niveau des certitudes intellectuelles. C’est quelque chose de physique. Ne pouvoir vivre comme nous sommes, convenablement, dans notre langue, à notre façon, ça nous ferait le même effet que de nous faire arracher un membre, pour ne pas dire le cœur. À moins que nous n’y consentions peu à peu, dans un déclin comme celui d’un homme que l’anémie pernicieuse amène à se détacher de la vie. (éditions Typo, p. 163)

Voila ce que René Lévesque écrivait lui-même un an après la fondation de son parti, en 1969 (Jean-François Lisée a écrit un billet fort intéressant aujourd’hui sur le « radicalisme » de Lévesque). Cette anémie pernicieuse dont parlait Lévesque, n’est-ce pas l’espèce d’atavisme dans lequel se trouve le Québec au niveau de sa culture, de sa langue, de son identité ? N’est-ce pas ce même atavisme qui nous fait à peine grogner par la voix de notre premier ministre lorsque 2,7 milliards de fonds publics sont investis pour des jeux olympiques où notre langue n’a presque pas droit de citer ? N’est-ce pas ce même atavisme qui nous fait tolérer des écoles religieuses illégales, qui fait reculer le français sur l’île de Montréal, qui nous fait édulcorer notre histoire nationale par peur de créer des « tensions » ou des « conflits » ? N’est-ce pas ce même atavisme qui nous fait mettre au rancard, enfermer à double tours notre drapeau fleurdelisé lors des festivités de la fondation de notre capitale, par peur que l’on nous considère trop nationalistes, trop fiers peut-être ? Non, n’en déplaise à M. Bouchard, il ne s’agit pas ici de radicalisme identitaire, mais bien de l’affirmation d’un peuple et de la démonstration de sa fierté, devant le relativisme multiculturel que son propre frère propage. Cette sortie d’avant-hier, où sur le ton de la vengeance personnelle il s’est porté à la défense de Gérard Bouchard n’était pas digne de sa stature, pas digne du personnage qu’il a été. Il ne s’agissait, ni plus ni moins, que d’un règlement de compte sur le dos de Pauline Marois.

L’enfant gâté

Depuis sa démission en 2001 devant son incapacité à convaincre les Québécois d’avancer, puis avec la sortie du manifeste des Lucides et maintenant, avec ses propos tenus à Québec avant-hier, Lucien Bouchard agit de plus en plus en enfant gâté. « Tu as osé toucher à mon frère ? Paf ! J’te donne deux petites phrases qui vont détruire en une journée tous les efforts de ta rentrée parlementaire. » Comme le rapportait Jean-François Lisée sur son blogue, Bouchard semble avoir oublié – volontairement peut-être – les désagréments que les sorties impromptues des anciens premiers ministres péquistes causent au chef en poste. Surtout lorsque ces sorties sont si peu élégantes, si peu judicieuses comme le furent les siennes. Alors que Jacques Parizeau se conduisait en chef d’État, signant presque son testament politique à l’automne dernier avec son livre La souveraineté du Québec, Lucien Bouchard a agit en enfant gâté, en enfant boudeur, égocentrique, affirmant presque : « Si moi je n’ai pas réussi à faire l’indépendance du Québec, PERSONNE ne peut y arriver. Alors passez à un autre appel !» Et bien soit ! Les Québécois sont trop idiots pour comprendre les vertus prêchées par Gérard Bouchard, c’est un fait. Les Québécois sont trop stupides pour suivre les saintes recommandations (bonnes ou mauvaises) du manifeste des « Lucides », c’est aussi une évidence. Les Québécois et les péquistes qui osent affirmer leur fierté nationale et défendre nos valeurs et notre identité sont des radicaux en puissance, cela va encore de soi. Bref, les Québécois ne méritent pas Lucien Bouchard qui lui, bien sûr, n’a pas besoin de faire d’introspection. Je finirais cependant ce billet avec une dernière citation de Lévesque :

Pour un petit peuple comme le nôtre, sa situation de minoritaire sur un continent anglo-saxon crée déjà une tentation permanente de refus de soi-même [Bouchard ?], qui a les attraits d’une pente facile, au bas de laquelle se trouverait la noyade confortable dans le grand tout [multiculturel canadien ou nord-américain ?].Nous comptons assez de déprimés et de démissionnaires [Bouchard ?] pour savoir que ce danger existe. C’est d’ailleurs le seul, au fond, qui puisse nous être mortel – puisqu’il réside en nous-mêmes. Et si jamais nous devions, lamentablement, abandonner cette personnalité qui nous fait ce que nous sommes, ce n’est pas « les autres » qu’il faudrait blâmer, mais notre propre impuissance et le découragement qui s’ensuivrait. (ibid. p. 168)

Si de refuser cette finalité pour le peuple québécois, c’est faire preuve de radicalisme, n’en déplaise à M. Bouchard, j’en revendique le titre.

pierrelucbrisson.wordpress.com

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