(Un journaliste en colère)
D. Pujadas définit le conformisme médiatique, “C’est ce qu’on pourrait nommer le journalisme des bons sentiments. Émouvoir, toucher le coeur, mettre en scène la complainte, ça fait de l’audience. Mais c’est aussi une bien pensance : c’est l’idée que, par définition, le faible a toujours raison contre le fort”. Sur Arte, les journalistes parlent de journalistes sur fond de dénigrement d’Internet. L’homme-tronc du service public, air concerné, récite son bréviaire du parfait journaliste en milieu tempéré. Un discours en lévitation, racontant une corporation qui prétend jouer un rôle central dans la démocratie. D. Pujadas vilipende le conformisme. À l’empathie populaire, il dit préférer accompagner son auditoire dans les eaux glaciales des faits bruts sans affects. Une posture bien plus confortable.
D. Pujadas a choisi son camp. Il dispose de quelques minutes dans un clip promotionnel pour journalistes désespérés, diffusé sur la chaîne Arte. Dans ce court laps de temps, il en profitera pour donner quelques définitions plates de son métier, une fausse charge contre le conformisme, mais surtout il aura choisi un exemple précis pour agrémenter son cynisme, celui des suicides à France Telecom. Il explique froidement que la rédaction s’est emballée sur cette histoire sociale, mettant en exergue les statistiques nationales de suicides corrélées avec celle de l’entreprise. Tout le remord du journaliste sur un sujet mal abordé est à l’écran. Le visage grave, le ton caverneux. Le présentateur vedette aurait tant voulu dire aux 5 millions de téléspectateurs que les pendus des centres d’appels font partie d’un quotidien national, ni plus ni moins. Que le management par le stress n’est pas plus implacable à France Telecom qu’ailleurs. Parce que le faible n’a pas toujours raison face au fort. Mais poussé par l’émotion et la piétaille gauchiste de sa rédaction, il a dû rendre les armes et verser dans la sensiblerie mortifère. Dans le métier on dit des D. Pujadas qu’ils sont « de grands professionnels ». Sur France 2, à 20 heures, c’est un scoop, l’enquête sociale, la vie des travailleurs prennent donc beaucoup trop de place. Et seraient teintées de surcroît de mièvreries “sentimentalistes”.
Tout l’hiver, D. Pujadas et son équipe ont fait la retape pour le plan de vaccination massif de R. Bachelot. Le service public n’a pas hésité à infliger de longues minutes expertes de reportages anxiogènes sur les pandémies “éradicatrices”. Martèlement de consignes de sécurité, d’images sanitaires de populations masquées que l’on veut faire passer pour dénuées de sens émotif. Égrener les décès comme fil rouge hivernal n’a rien à voir non plus avec l’émotion. Climax du feuilleton grippal, le virus mutant qui faucha les bambins et tint en haleine le travailleur sidéré au dîner.
Lorsque la tête de gondole de la messe vespérale du service public dispose de quatre minutes montées pour parler du métier de journaliste et de ses errements, il préfère maugréer sur les exagérations sociales plutôt que sur son replâtrage gouvernemental. Une tournure d’esprit. Un rebelle.
À écouter la star du JT, le journalisme politiquement correct en France se vautre dans la sensiblerie prolétarienne. Il prône un retour aux faits dénués d’affects. Le journaliste, tel un chirurgien procède froidement, débite de l’information scientifiquement. Tout ceci n’est que verbiage, le journalisme hors sol n’existe pas. L’humain hors humanité non plus. Il s’agit seulement de prétexter du recul face aux dommages sociaux, pour se lover confortablement dans l’information aseptisée issue d’un monde brutal. Débarrassé de jugements de valeur et d’éthique, narrer la gloire des dominants va sans peine. Piétiner les bouseux aussi.
Il n’y a pas si longtemps, moins d’un siècle, G. Orwell écrit un reportage sur la vie des mineurs du nord de l’Angleterre en 1930, “Le quai de Wigan”. Déjà marquée par les infortunes parisiennes, sa vision du monde se charge de sens au contact des gens simples. Cela aboutira à la “common decency”, un bon sens prévenant des classes laborieuses face aux petites ignominies quotidiennes. E. A. Blair (Orwell) proposait un regard courageux et partisan sur la société sans pour autant glisser dans un avachissement intellectuel. La crédibilité de sa subjectivité s’échafaudait sur une rigueur analytique implacable. À l’opposé, ceux qui manquent de tripes se terrent dans la froideur et l’air salaud du “grand professionnel”.
À Gilles Suze
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