Elle et lui : la petite vingtaine. Comme je la connais un peu, je les rejoins. Elle nous présente l’un à l’autre... - Euh, et alors, vous êtes dans la même promo ?
Elle : Non.
- T’es dans quoi, alors ? T’as vu comment je le cuisine ? comme les flics !-]
Lui : Dans plus rien...
- Oh, un galérien, alors ?-]
Lui : En pharmacie alors, ou dans les langues ; ça n’a pas d’importance... Je pourrais prendre un petit boulot, gagner un peu de ronds, et vivre tranquille quelques mois... Je n’ai pas beaucoup de dépenses. J’aimerais bien vivre dans une petite communauté, loin du monde...
- Ah, oui ! comme le groupe Tarnac !
Elle : Le quoi ?
Lui : Le groupe du Tarnac. J’ai mon frère qui en connaissait un. Il connaissait quelqu'un dans le groupe, l'a côtoyé à un moment...
- Ah ?!
Lui : Oui, mais il est parti, et a fait autre chose. Tu as lu leur livre ?
- Oui, mais, il n’y a rien d’extraordinaire...
Lui : Qu’est-ce que tu lui reproches ?
- Euh, c’est un bon état des lieux, très clair, très argumenté, mais leurs propositions sont assez courtes. A la question « et après ? », il n’y a pas beaucoup de réponses. Et puis, c’est très peu offensif ! Et dire que ça a fait trembler le ministère de l’Intérieur ! D’un pet de mouche, ils en ont fait une montagne de rien du tout – les fondés de pouvoir. Et ils n'ont pas reculé devant les méthodes infâmes. De l’enfumage, relayé par la presse ! Bon, il y a un autre bouquin, un peu mieux qu’il faut lire quand on a vos âges. C’est le livre de Badiou...
Elle : Ba... quoi ?
- Quoi ?! tu n’en as pas entendu parler ?
Elle : Ben, non... Avec toutes les informations qui nous tombent dessus tous les jours, on ne sait pas quoi retenir...
- Bon. « Ba », « diou »... ou « Bad » – comme « mauvais » en anglais – et « you », mais avec un « i », à la place de l’ « i grec ». Pareil, un bon état des lieux, mais rien de plus. Il y parle principalement du « transcendantal pétainiste » dans notre bon pays. Mais, le livre à lire, c’est son hypothèse communiste.
Elle : Et toi, tu travailles... euh, dans le cinéma ? Tu écris des critiques ?
- Dans le cinéma, non. Des critiques, euh, ça oui ! Je laisse ça sur des blogs, mais sous pseudo. Je prends un pseudo pour ne pas me faire emmerder. J’ai balancé contre un magistrat, et lui, vient de se faire débouter par un Tribunal à propos d’une fallacieuse affaire d’injure publique (mais pas contre moi, hein). Donc, un type comme lui – véreux – je suis sûr que si j’étais sous mon identité civile, il a tous les moyens de me faire chier ! et qu’il ne se privera pas de le faire !
Elle : Et pourquoi sur les blogs ? Pourquoi pas dans des revues ?
Lui : Ou dans des magazines ? Y a un critique dans le Nouvel observateur, qui est reconnu...
- « dans le Nouvel obs » et « qui est reconnu »... eh bien, je ne vois pas bien qui peut le reconnaître ! Ou alors, il est connu (et je devine qui c’est), mais alors, moi, je ne le reconnais pas du tout ! C’est comme les rock stars ! On va prendre not’ Johnny national (qui préfère ne pas payer ses impôts en France), il est connu du grand nombre, mais je ne suis pas sûr qu’il soit « reconnu ». Ils sont tout au plus « connus » du public...
Elle : Mais alors, tu ne travailles pas ? tu ne cherches pas à publier ?
- Je dis souvent que si on veut me lire, il faudra attendre que je claque ! Blague à part, je dis que n’importe quelle personne de votre âge, disons, ma cousine, mais même ma nièce de cinq ans, elle voit que le monde qu’on a sous les yeux, c’est de la merde ! Donc, la moindre des choses, c’est de ne pas y participer ! en tous cas, le moins possible...
Mais, on peut pousser, et parler de la confiscation de la démocratie. On nous fait croire qu’on est en démocratie, mais on ne l’est pas ! C’est une oligarchie déguisée. On nous fait croire à la liberté d’expression, mais elle est très restreinte. Car il faut voir où est la parole publique ? où on peut vraiment s’exprimer, s’adresser au plus grand nombre, sans risquer de se faire inquiéter ? Par exemple, le racolage électoral sur l’ « identité nationale », au début, on pouvait se dire : « Bon, c’est une blague » – très douteuse, bien sûr – et qu’elle allait durer, allez, au maximum, deux mois. Là, ça fait près de quatre mois, et c'est parti pour durer ! Or on est tous là, à rien faire, à attendre que ça se passe...
Donc, ce qui est « fort », c’est la résignation de chacun. On a l’ouvrier, le travailleur, ou l’employé qui rentre du boulot, et qui allume la télé. Et là, on lui matraque la gueule : on lui fout cinq drames d’affilée, et juste après, une rafale de vingt pubs en pleine figure ! C’est sûr qu’il ne peut plus trop réagir. Et puis, le lendemain, il doit retourner se faire exploiter – ce qu’il accepte très bien, du moment qu'on lui file un salaire suffisant pour qu’il considère que sa situation est moins mauvaise que beaucoup d’autres.
Et de l’autre côté, il faut voir le zèle de certains, et particulièrement celui des flics (sans mentionner les notables). On leur dit : « Il y a des lois, faites-les respecter, et ramenez-nous des résultats ! ». Et eux, sans aucun problème, ils accourent et répondent : « Oui, chef ! » Et ils appellent ça la « culture du chiffre »... qui est un oxymore ! Car, on ne peut pas mettre ensemble « culture » et « chiffre ». Mais, il faut croire que c'est une nouvelle conception de la « culture »...
par Albin Didon