Je préfère de loin titrer ainsi ce second texte dans lequel le statut de la mort vient nous frapper, bien avant la présence des défunts eux-mêmes.
Cette proposition qui vise à amener des visiteurs dans l’enceinte des cimetières, là où ils ne sont venus, le plus souvent, que contraints et forcés, présente pour moi plusieurs nécessités.
Je l’ai écrit dans un court article il y a déjà plusieurs semaines : la mort appartient à tous et en cela même, les signes de la représentation mortuaire doivent faire partie de notre culture – collective et individuelle.
Pourquoi nous la cacher, dans tous les sens de l’expression ? Pourquoi nous mentir à nous-mêmes ? Pourquoi abandonner les morts ? Je ne dis pas leur corps, mais leur place symbolique au sein de la société, proche du monde des vivants, dans l’intimité d’une relation personnelle, comme dans la relation plus collective qui nous relie à une personne que nous admirons toujours, dont nous regrettons qu’elle n’écrive ou ne chante plus, qu’elle ne crée plus ou ne proteste plus ?
Et même au-delà, d’une personne dont l’expression et la représentation de la mort - la sienne -qu’elle a acceptée de son vivant, la créant parfois ou la suscitant, nous raconte sur la société autant qu’un monument civil ou religieux somptuaire, un urbanisme souverain, voire une chanson lancinante.
Juste un monument ; à la hauteur des possibilités financières de chacun. Ou alors seulement - c’est le cas à Barcelone - une niche où déposer quelques objets et qui parfois devient un lieu de culte où, comme devant la statue de la Vierge, on dépose des ex-voto, des souhaits ou des remerciements.
C’est en tout cas ainsi que je suis entré dans la passion qui se proposait à moi, après d’autres thèmes d’itinéraires qu’on dira plus simples ou plus calmes.
Il y a sans aucun doute une forme de tourisme qui, en dehors des lieux de conflit où la masse des symboles anonymes révèle l’intensité des drames et la nécessité de les commémorer, pour ne pas oublier le danger de la barbarie,en dehors donc des lieux de mémoire collectifs, j’aime ces espaces destinés à la célébration du rapport à une sorte de sacré qui magnifie l’individu. Ou qui, au moins, crée un périmètre dans lequel des proches ou des inconnus viennent régulièrement dire : je me souviens.
Je lisais récemment cette remarque tout à fait pertinente d’une architecte et urbaniste : « La ville a historiquement été définie par deux éléments : le carrefour et le périmètre. Ils constituaient à deux le hiéroglyphe égyptien représentant la ville. Le périmètre a désormais disparu. »
J’en suis à me demander si le carrefour et le périmètre ne sont pas inscrits par nature dans l’aménagement même du cimetière, surtout si, comme c’est le cas à Barcelone, on alterne, ou plutôt on hiérarchise, les beaux quartiers des monuments bourgeois et les appartements de tombes superposées, immeubles en miniature aux studios individuels où viennent se recueillir un moment les voisins éplorés.
Photographies : cimetières de Poblenou et de Montjuic, Barcelone.