"Se mettre à son compte" comme on dit, ne rendre de comptes qu'à soi, voler de client en client, une vie de super héros à laquelle beaucoup d'entre nous ont rêvé au moins une fois. Certains ont franchi le pas après mûre réflexion, d'autres sur un coup de tête dans le fracas d'une porte qui se claque, d'autres encore ont trouvé là le seul moyen de s'extirper de la nasse du chômage ! Pouvoir à nouveau échanger une carte de visite, afficher la promesse d'un statut, peu importe pour l'heure s'il n'est qu'illusion pourvu qu'il soit le prémisse de lendemains qui chantent. Et pour tous, l'apprentissage garanti de la liberté, sans filet ni kit de survie…
Se risquer à miser sur soi a ceci d'effrayant que pour beaucoup ce n'est pas une attitude naturelle. De l'Etat providence aux réseaux de franchises (vous admirerez le raccourci), l'assistanat reste une valeur sûre, un refuge à l'abri duquel attendre est encore le meilleur moyen de ne pas se tromper. Pourtant se risquer à miser sur soi, changer de job, en retrouver un, créer son entreprise, inventer son métier, c'est passer un jour, du mode ATTENTE au mode ACTION. Alors à vous tous, serial entrepreneurs, sceptiques chroniques aux arguments implacables, à vous qui n'osaient pas franchir le pas, pensant manquer de connaissances, de réseaux, voire de diplômes à valoriser, laissez-moi vous raconter une histoire.*
"Dans ce petit village, être le concierge du Lupanar était l'assurance de ne pas attirer les faveurs des jeunes filles promises. Il n'existait pas de métier plus mal considéré et plus mal payé que celui de concierge du Lupanar. Et pourtant depuis des décennies, si le Lupanar était passé de père en fils, il en était de même pour la loge du concierge. Concierge depuis plusieurs générations, allez comprendre, une vocation peut-être ?
L'actuel concierge ne savait ni lire ni écrire, comme son père, son grand-père… Aucun d'eux n'avait jamais appris…
Un jour, le vieux propriétaire du Lupanar mourut. Son fils, un jeune homme plein d'ambitions, créatif et entreprenant, diplômé de la grande école de commerce, prit la direction des lieux. Il donna des instructions strictes à chaque membre du personnel. Au concierge, il demanda non seulement d'être à la porte, mais de préparer en plus un rapport hebdomadaire dans lequel il noterait les commentaires des clients, établirait des statistiques et recueillerait leurs doléances. Tout ceci, dit le jeune propriétaire, dans le but de satisfaire notre clientèle et d'augmenter nos profits pour le bien de tous.
Le concierge du Lupanar osa timidement prendre la parole. "Mon jeune maître, vous êtes ambitieux et vos idées vont permettre à notre établissement bien aimé de prospérer et vous savez que rien ne me serait plus agréable que de suivre vos instructions à la lettre mais… Il dû s'interrompre, gagné par l'émotion, avant de reprendre
"Je ne sais ni lire ni écrire, je n'ai jamais appris !"
"Et bien cher Concierge, vous me voyez obligé dans ces conditions de vous congédier", dit avec fermeté le jeune propriétaire.
"Mais enfin vous ne pouvez pas jeune maître, je travaille ici depuis toujours, mon père avant moi, mon grand père avant lui, je ne sais rien faire d'autre !" répondit abattu le concierge.
"Rassurez vous, vous serez indemnisé le temps de trouver une autre occupation, mais comprenez que vous ne correspondez plus à mes critères." Le concierge n'entendit pas la fin de la réponse du jeune maître et prit la direction de la porte en traînant son âme avec ses pieds.
Plus tard, assis sur les marches devant sa modeste maison, il réfléchissait de toutes ses forces au métier qu'il pourrait maintenant exercer. Soudain, une lueur éclaira ses yeux humides, il se souvint qu'au Lupanar, il réparait souvent les lits, les pieds d'armoire tordus, fixait la plomberie chancelante… Il chercha dans toute la maison les outils dont il avait besoin, mais ne trouva que quelques clous rouillés et un vieux marteau. Il devait investir et songea à s'acheter une caisse à outils. Il pourrait ainsi proposer ses services aux habitants du village. La première quincaillerie se trouvait au chef lieu. Pour s'y rendre, il devait faire deux jours de voyage à dos de mule (et deux jours pour le retour...). Il ne pouvait pas rester sans rien faire, il y a bien longtemps que la pluie n'apportait plus de pièces d'or… Il se mit donc en route .
A son retour, son voisin qui avait appris le motif de son voyage, sonna chez lui pour lui emprunter un marteau. L'ex-concierge en avait besoin pour travailler. Son voisin lui proposa alors de lui acheter car lui n'avait certainement pas quatre jours à perdre pour aller au chef lieu. Il lui proposa de payer le marteau, plus l'aller-retour en guise de dédommagement pour la peine accumulée sur la route. Lorsqu'un autre voisin très occupé avec sa boulangerie apprit ce qui se passait, il lui demanda plusieurs outils pour réparer son fournil et fabriquer un autre comptoir. "Je n'ai pas comme toi quatre jours pour faire mes courses, je te paye les outils et le voyage. Après avoir livré ses deux premiers "clients", l'ex concierge et commerçant débutant décida de prendre un risque, profiter de ce que le boulanger lui ait payé le voyage pour acheter plusieurs outils d'un coup et les revendre à son retour avec un bénéfice !
Au bout de quelques mois, il ouvrit la première quincaillerie du village. Puis il se dit qu'il pourrait fabriquer ses propres outils lui même, les têtes de marteau, les tenailles, les pinces, les burins… pour faire encore plus de marge. En dix ans, à force d'honnêteté et de travail, cet homme devint millionnaire, devenant l'entrepreneur le plus puissant de la région. Il était si puissant qu'il décida d'offrir une école à son village. Le maire organisa une fête pour inaugurer l'école et un dîner en l'honneur du bienfaiteur.
Au dessert, le maire demanda au commerçant, pour lui faire honneur, d'apposer sa signature sur la première page du registre de la nouvelle école. Le riche commerçant qu'il était devenu dit "Monsieur Le maire, vous savez comme j'aime mon village et comme je m'efforce de servir ma communauté, vous savez aussi que rien ne me ferait plus plaisir que de parapher votre registre… mais..."
"Qu'y a-t-il ? Allons parler cher ami."
"Je ne sais ni lire, ni écrire… je n'ai jamais appris."
Très Surpris, le maire s'exclama " Vous qui avez si bien réussi, quel empire auriez-vous bâti en sachant lire et écrire ?"
"Oh Monsieur le Maire, si j'avais su lire et écrire... je serais resté le concierge du Lupanar !"
Heureux de contribuer à votre SUCCÈS.
Le Motivateur
* Version libre d'un récit de J.Bucay , tiré du talmud et cité par M.Buber…