Avec un jour de retard, la Bibli des p'tits chats propose une nouvelle lecture: "La vigne qui aimait un lierre et autres fables".C'est le titre du livre qui m'a attirée lors de la dernière opération de "Masse critique": "La vigne qui aimait un lierre" a tout de suite mis en marche mon imagination, mis en effervescence mes souvenirs de légendes grecques et latines et chatouillé ma fibre de lectrice de conte. Je voulais abolument savoir le pourquoi du comment de cette histoire étrange de vigne amoureux d'un lierre.C'est avec un immense plaisir que j'ai lu les trois contes de ce recueil: dès les premières lignes, je me suis trouvée immergée dans un univers médiéval aux senteurs de garrigues et d'oliviers, aux effluves salées d'une mer proche, aux fragances d'une montagne un tantinet sauvage. Puis, plus loin, ce fut l'ambiance d'une ville lors de la Renaissance italienne où le tintinabulement des mâts dans le port scande le temps qui passe. Enfin, les monts de l'Olympe retentirent des rires et interrogations des dieux, de tous les dieux, au cours d'un banquet réservant bien des surprises.Les trois contes sont imprégnés des légendes, écrites ou orales, qui courent dans les mémoires collectives. Ainsi, le conte "La vigne qui aimait un lierre" évoque-t-il l'amour qui perdure au-delà de la mort: le tanneur d'un village cathare devient veuf et est à un tel point inconsolable qu'il perd goût à tout ce qui l'entoure. Au fil du temps, ce dernier parvient à surmonter son chagrin et s'en va chercher femme dans le voisinage. Or, à chaque fois qu'une possible union peut se concrétiser, quelque chose la fait échouer; et fait extrordinaire, la vigne vierge plantée par la défunte épouse, croît à l'aune des recherches infructueuses comme pour le consoler de ne pas trouver l'âme soeur: la vigne vierge devient tellement luxuriante qu'elle colonise toute la maison jusqu'à en devenir l'élément essentiel. Puis, notre tanneur vieillissant s'alite pour ne plus se relever si bien qu'on le retrouve, ô prodige, métamorphosé en lierre et étroitement enlacé avec la vigne dont le visage ressemble à celui de Ludine, l'épouse disparue. "La vigne qui aimait un lierre" est un écho de la mythologie greco-latine et on en peut que se rappeler des métamorphoses des amants désespérés qui jalonnent les récits d'Ovide. L'amour au-delà de la mort, le gage de retrouver, dans l'au-delà, l'être cher que l'on n'oublie pas: la mémoire est le fil invisible qui tisse les souvenirs, ceux qui ont leur place dans le coeur des vivants."La cité des sots" est un conte amusant, métaphore du désir inepte de suivre la mode jusqu'au ridicule. Les habitants d'une ville italienne s'ingénient à avoir des idées plus idiotes que celles de leur doge. Ainsi lancent-ils la mode des aquariums qui envahissent peu à peu les moindres recoins des intérieurs et organisent la vie quotidienne de chacun...comme la mode devient vite une loi, personne ne peut y déroger et comme souvent, certains amassent des profits qu'ils désirent toujours plus importants. C'est pourquoi, des citoyens, "gavés d'or" et jamais repus, proposent un jour au doge de promulguer une loi stipulant le sacrifice, pour banqueter, desdits poissons. Ce qu'ils ne savaient pas c'est que les habitants, las des lois ineptes et surtout fatigués de payer pour respirer, décidèrent de se rebeller....et ce ne furent pas les poissons les premiers sacrifiés! "La cité des sots" apporte une inestimable pierre à la construction d'un bon sens qui lentement s'érode sous les assauts du marchandising et du marketing outranciers; et est un appel à la vigilance de chacun: trop suivre les diktats de la mode, trop en tirer parti peut s'avérer être dangereux...aussi, le plus simple ne serait-il pas de ne pas y succomber, même si cela signifie être en dehors du groupe?!"Le dernier dieu" est le récit, conté, de la disparition des dieux, êtres suprêmes ayant oublié de penser au-delà de leur égoïsme et de leur égocentrisme tant ils sont accaparés par leur apparence, leur suffisance et leur sentiment d'importance. A ne recevoir qu'offrandes et hommages, les voilà délaissés, ne possédant plus l'oreille des hommes qui les oublient et les négligent. Comment remédier à la situation? En élisant un dieu parmi le Parnasse! Mais pour qui voter? L'orgueil, le mépris de l'autre s'en mêlent pour donner corps aux débats et attirer les foudres du Grand Cosmos: chacun est persuadé d'être le plus infaillible, le plus important et le plus craint! Or, si l'amour, la tempérance et la simplicité étaient l'essence même du message divin, est-il fondamental d'être "le plus" en tout? Clin d'oeil final: le dernier dieu, le petit Obonenbe, croque une délicieuse pomme, rescapée du divin banquet,...."Les hommes pouvaient revenir maintenant".L'écriture, à la première personne, est le billet d'entrée immédiate dans l'univers du conte: le narrateur emmène, avec douce autorité, son lecteur, son auditeur, au coeur de ses histoires. La force suggestive des mots plonge l'imaginaire dans le dédale, organisé, des légendes et des époques, et laisse de petits cailloux pour retrouver son chemin grâce à la mémoire collective que chacun garde au fond de lui. Jean-Sébastien Blanck réussit à captiver par ses contes frais et pourtant graves, et à déposer, au creux des mains des lecteurs, des pépites permettant de regarder autrement le monde: aller au-delà des apparences, ne pas plier l'échine sous le fardeau de la peine et de la tristesse et ne s'en laisser trop conter pour ne pas être grugé. Le tout, servi par un style très agréable, très vif et coloré et surtout joliment illustré: l'image et le texte se complètent et s'interprêtent joyeusement."La vigne qui aimait un lierre" est un recueil de contes modernes aux judicieux accents d'autrefois....à mettre entre toutes les mains!
Je remercie Babelio et les charmantes éditions Alzabane pour ce très joli moment de lecture!
Les avis de lire-ecouter-voir flocel leshistoiressansfin choisirunlivre