Par Estelle Vereeck, Docteur en chirurgie-dentaire, auteur d'ouvrages sur les dents
On assiste aujourd'hui à un retour de l’allaitement, qui concernerait entre 60 et 70 % des femmes venant d’accoucher, alors qu'elles n'étaient que 15 % dans les années 70. Cependant, s'il a ses fervents partisans, l'allaitement a également ses détracteurs. Alors, allaiter son bébé : la meilleure ou la pire des choses ?
Faut-il allaiter son bébé au sein ? Quelle est la durée idéale de l'allaitement ?
Autant de questions qui font polémique. Tandis que certaines mamans revendiquent un allaitement prolongé au sein, parfois de plus de 24 mois, la philosophe Elisabeth Badinter, au nom de la libération des femmes, prône une posture inverse et érige le biberon en instrument libérateur de la condition féminine.
Allaiter en bonne mère écologique
Dans son nouvel essai Le Conflit, la femme et la mère, Elisabeth Badinter dénonce ce qu'elle considère comme une pression exercée sur les femmes au nom de l'exaltation de la "bonne mère écologique" qui allaite nécessairement son enfant au sein. Selon Elisabeth Badinter, inciter, au nom du bien de l'enfant, les femmes à allaiter serait un danger pour leur émancipation. La philosophe dénonce le discours de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui recommande un allaitement exclusif à la demande pendant les six premiers mois puis de prolonger l’allaitement en parallèle avec la diversification de l’alimentation.
Point de vue d'Elisabeth Badinter sur l'allaitement
« Je ne suis pas contre l’allaitement et pense même que le lait maternel est parfaitement adapté, mais pas pendant six mois et à la demande du bébé, comme le recommande l’OMS et d’autres experts ! Ce n’est plus une recommandation mais une obligation. Chaque semaine, on trouve de nouvelles vertus au lait maternel et de nouvelles raisons de se méfier du biberon. «Vous devez donner le meilleur à votre bébé» entend-on partout. Quelle mère supporterait de ne pas donner le meilleur ? La culpabilité est une arme imparable » déclare E Badinter dans une interview accordée au site internet Les Quotidiennes*.
Et la philosophe essayiste d'ajouter : "Le biberon, je n’hésite pas à le dire, a été un objet moteur de l’égalité des sexes à l’intérieur des familles. Il a permis de décharger les mères".
Point de vue dentaire et orthodontique
Si madame Badinter développe un point de vue philosophique et sociologique sur l'allaitement, il est intéressant d'apporter un autre éclairage sur cette question. Sans prétendre trancher le débat et encore moins y apporter une réponse toute faite, voici quelques réflexions orthodontiques et dentaires afin de cerner des aspects méconnus de la question.
Sur le plan orthodontique, si le biberon a libéré les femmes, il a aussi produit des générations d'enfants dits rétrognathes, c'est à dire avec une mandibule petite et en retrait, enfants qui remplissent aujourd'hui les cabinets d'orthodontie, et pas seulement parce qu'ils sucent leur pouce.
Allaitement et propulsion de la mandibule
Contrairement à l'allaitement au sein qui exige une forte propulsion de la mandibule, l'allaitement au biberon n'exige aucun effort et ne sollicite donc pas le développement des mâchoires. En effet, celui-ci n'est pas uniquement sous l'influence de la génétique mais dépend grandement des stimulations qui se font grâce aux fonctions (allaitement, mastication, respiration, déglutition), par des mécanismes expliqués en détail dans Orthodontie, halte au massacre. Ceux qui pensent que "ce n'est pas grave car on pourra toujours faire un traitement orthodontique", se trompent car les traitements tardifs et mutilants proposés actuellement ne rattrappent jamais le manque de croissance mais se contentent de le camoufler par des extractions, avec de nombreux dégâts collatéraux.
Durée optimale de l'allaitement
Concernant la durée optimale de l'allaitement, la sagesse ne serait-elle pas de suivre la nature ? La durée idéale de l'allaitement exclusif correspond à la période où l'enfant est édenté, dans la mesure où ce mode d'alimentation convient parfaitement à un enfant incapable de mastiquer. Cette période sans dents dure environ six mois. On retrouve donc ici une justification de la recommandation de l'OMS. Vers l'âge de six mois, l'éruption des premières dents donne le signal du début du sevrage, celui-ci devant être bien entendu progressif.
Fin de l'allaitement : le temps du sevrage
Que penser d'un allaitement long, voire très long (18 mois et plus) ? Sans prétendre répondre de manière définitive à cette question, des éléments de physiologie permettent de comprendre pourquoi prolonger l'allaitement au-delà de l'âge de dix-huit mois entrave la maturation de la déglutition : allaitement au sein, bénéfices et limites dentaires. Un allaitement prolongé peut s'avérer contre-productif. L'enfant évolue et ses besoins avec lui. Une pratique bénéfique à un moment du développement peut ne plus l'être ensuite. Tout est question de durée et de bon sens.
Allaiter son bébé : la meilleure ou la pire des choses ? Donnez votre avis.
* Interview d'Elisabeth Badinter sur :
http://www.lesquotidiennes.com/philosophie/elisabeth-badinter-«le-biberon-a-été-un-objet-moteur-de-l’égalité-au-sein-des-familles».