Je vous propose une héroïne biblique aujourd’hui.
Si, si, une héroïne. Quand vous voyez ce tableau, vous vous dites (normalement) : “bon sang, mais qui sont ces tueuses ?” Des héroïnes on vous dit.
D’abord, il faut savoir que ce tableau a été réalisé vers 1612 par une des rares femmes peintres du XVIIe siècle : Artemisia Gentileschi, et qu’il est intitulé Judith et Holopherne.
Judith, dans la Bible, est une héroïne : elle est une jeune veuve de Palestine qui séduit puis tue Holopherne, général de Nabuchodonosor, qui avait assiégé sa petite ville de Béthulie. Son mérite est donc immense ; au Moyen-Âge, on en fait même l’allégorie de l’Humilité terrassant l’Orgueil.
Ce personnage biblique a été représenté un nombre de fois impressionnant en peinture, du Caravage à Klimt ; pour voir une page assez complète sur le sujet allez sur ce blog.
Alors pourquoi choisir ce tableau particulièrement ? Eh bien, premièrement parce qu’il est beau et terrifiant à la fois. Et parce que certains avancent une hypothèse limite psychanalytique intéressante pour expliquer pourquoi Artemisia Gentileschi aurait choisi ce sujet : elle aurait subi à dix-huit ans un viol, et l’aurait dénoncé, se rebiffant ainsi clairement et courageusement devant toute la société de l’époque. Elle aurait donc elle-même quelques points communs avec la Judith, si l’on considère que le siège de la ville par Holopherne s’apparente à un viol, et que sa décapitation peut être assimilée à une castration. La peintre (au prénom prédestiné : Artémis n’est-elle pas la déesse grecque vierge de la guerre et de la chasse, qui punit sévèrement qui essaie de la courtiser ?) aurait donc elle aussi du cran, d’une femme qui fait face au masculin, le surplombe même et n’a pas peur de le renverser.
La particularité du tableau par rapport aux autres représentations picturales du même épisode réside aussi dans sa composition et dans ses détails :
- Là où d’autres éloignent Judith de sa victime (le Caravage par exemple), Artemisia Gentileschi la place au-dessus de l’homme, dans une étreinte musclée.
- Judith offre un visage serein, tandis que sa servante et complice esquisse même un sourire. L’effroi du spectateur (qui est visuellement plus près d’Holopherne), réside dans le contraste entre la souffrance du visage de l’assassiné et la détermination calme des bourreaux. Elles ont les yeux baissés vers la tâche à accomplir (contrairement à la victime qui nous regarde -comme en un dernier appel au secours-), et leurs bouches sont closes (contrairement à celle de la victime qui tente sans doute de pousser un cri).
C’est tout ce dispositif qui rend le tableau frappant et tendu, dérangeant. On a rarement vu en peinture une femme aussi puissante et déterminée, contre l’assiégeant impur, certes, mais aussi contre l’Homme tout court.
Analyse du tableau très fortement inspirée du livre pédagogique et passionnant : L’art pris au mot (ou comment lire les tableaux).