Bon aller, je vais me la jouer provoc' (avec mon titre, pas taper jvm, it's a joke !!! ;-) ), voici un article qui m'a bcp attristé. Il s'agit du témoingage de plusieurs psys spécialistes de l'adoptions qui ont été les témoins des premiers rapatriements d'enfants d'Haïti, et qui condamnent ces "rapatriements en urgence".
La première chose qui m'attriste à la lecture de cet article est l'évidente souffrance des enfants. Je ne sais pas quel est le facteur le plus important, entre le trauma du séisme, le rapatriement à moultes étapes sans aucune préparation des enfants à cela, la fatigue ou le stress, mais ce qui est certain c'est que ces enfants arrivent en France fortement perturbés.
Et puis il y a le n'importe quoi de certains parents adoptifs si les faits ont bien eu lieu comme décrits dans l'article, et qui m'ont fait bondir en première lecture. Et surtout, le n'importe quoi des orphelinats qui ont séparé des jumeaux, recomposé des fratries sans préparer les enfants à celà. J'ai eu du mal à croire tout ce que j'ai lu, pourtant ces deux pros sont bien connus et signent ces articles de leur nom, donc eux, j'aurais tendance à les croire, plus que nombreux articles de journalistes dont les écrits reflètent souvent l'ignorance ou le parti pris. Mais on est bien d'accord, ces erreurs d'apparentement n'ont rien avoir avec le séisme ou les opérations de rapatriement, cela date de bien avant, et les responsables sont les orpheux haïtiens qui ont fait ces choix, bien avant le séisme.
Mon avis sur le contenu de cet article ? Mitigé, triste pour la souffrance et erreurs décrites, mais pas aussi catégorique dans mes conclusions. Moi, de mon expérience personnelle indienne, je me garde de faire des conclusions hâtives sur les premières heures passées entre des enfants avec leurs parents. D'abord je ne jugerai pas un enfant dans le pâté qui vient de se taper 10 heures d'avion, qui n'a qu'une envie, c'est dormir, et qui subit de plein fouet le décalage horaire et parents tout nouveaux avec qui il doit faire des efforts pour se montrer sympathique. Cet enfant a le droit de pleurer, de se rebeller, de hurler son stress et sa souffrance, d'avoir le regard hagard. C'est presque tristement logique ??? De là à dire que ce sont les symptômes d'un trauma profond... Moi je préférerais faire (ou surtout ne pas faire !!!) ce genre de conclusion au bout de plusieurs longues semaines chez ses parents plutôt que sur qqs heures passées dans un aéroport. Pour moi un gosse qui est naz n'est pas lui même, heureusement !!!! (pasque sinon ma fille aurait tout les symptômes d'un serial killer les matins où elle est dans le paté et qu'elle ne veut pas se magner !!!)
Puis, il y a ces réactions de parents tel que décrits dans l'article. Qui déchirent les papiers de la famille de naissance dans l'aéroport-même et sous le regard des psys ???? Incroyable, horrible, horrifiant. Mais si ces psys l'affirment dans leur témoignage, c'est que ça doit être vrai. Sans commentaires, honte aux parents qui ont fait ça. Déchirer la lettre d'une mère biologique, qui est sans doute l'une des dernières traces matérielles de son passé pour l'enfant, et qui est la propriété de l'enfant et non du parent, est un acte honteux et égoïste. Tout un symbole, on n'efface pas le passé d'un enfant avec un tel acte. Mais là, il faudrait plutôt condamner la DDASS qui a donné un agrément à une telle famille, qui ne semble pas prête à accueillir un enfant avec son passé ! Une fois de plus, rien avoir avec ce rapatriement d'enfants, mais même si on est encore hors sujet, je comprends leur indignation bien légitime.
Les parents qui déshabillent et rhabillent leur enfant de "leurs" fringues ? J'en ai vu d'autres similaires dans mes orpheux indiens, et je crois que, allez je vous l'avoue, moi aussi je l'ai faite sur mes propres enfants.... And so what ???? Pour moi ce n'est pas un geste à condamner, ça montre plutôt que les parents commencent à s'approprier leur enfant. Pas très malin dans un hall d'aéroport au bout de 5 minutes sur un gosse exténué et déboussolé, soit, mais doit-on pour autant les pointer du doigt pour celà ? Quant aux parents qui appellent immédiatement leur enfant par leur nouveau prénom, comme je le vois souvent en Inde au début de la rencontre, ils se rendront vite compte qu'il faudra faire une transition progressive, lorsqu'ils constateront que leur enfant ne se retournera pas à leur appel ou ne se sentira pas concerné par les paroles s'il n'entend pas son prénom d'origine !
Je constate souvent, dans les tout premiers instants de vie avec son enfant, que beaucoup de parents assouvissent comme ils le peuvent un lointain fantasme : celui de l'enfant qui leur fait un bisou (et non le contraire....), celui de l'enfant qui l'appelle "papa" ou "maman", celui du câlin, du portage "nourrisson" ou "bébé" pas toujours en rapport avec l'âge réel de l'enfant, du fringage de sa "poupée", de l'utilisation de ce prénom choisi avec tant de soin, du "vroum vroum avec une petite voiture avec mon fiston, enfin j'ai un fils avec qui je pourrai rejouer aux voitures" ... Les parents essayent maladroitement d'avoir cet enfant imaginaire si longtemps attendu avec leur enfant réel. Ca peut marcher dans certains cas, mais bcp de parents s'essuient un rateau qui les amène directement à la réalité de leur adoption... Exit le rêve, bonjour la réalité ! Et puis la vie continue, le fantasme ayant été dépassé, l'adoption réciproque continue son chemin en suivant une évolution plus progressive en accord avec les deux partis.
Vous l'aurez compris, j'en ai vu d'autres, même des pires qui feraient hurler les psys que je tairais dans ce blog par respect des familles... Je ne juge pas, mais de temps en temps j'en rigole ou hurle intérieurement, mais je sais que ça fait partie du truc. Après tout, les parents qui démarrent, qui s'approprient leur enfant comme ils le peuvent dans cette filiation "différente", ont le droit à ne pas être parfaits et à faire leur lot de conneries maladresses lorsqu'ils débutent. Cela n'en fait pas des mauvais parents, heureusement.
En tant qu'accompagnatrice, j'en ai vu des vertes et des pas mûres, mais plutôt que de juger définitivement ces parents dans ces premiers instants de parentalité, je leur laisse le temps pour faire les boulettes, trouver leurs marques. Je vous l'avoue, c'est parfois rageant, car on a envie de "réparer", leur expliquer, pire, de faire les choses à leur place. Mais non, cette étape est nécessaire pour eux, pour leur enfant, pour la création de leur attachement, la phase des découvertes est naturellement remplie de boulettes de parents, mais c'est absolument nécessaire. Rhabiller tout de suite un enfant avec ses habits français, l'appeler par son nouveau prénom ne signifie pas forcément que les parents renient le passé de leur enfant, heureusement. C'est dans la longue que l'on peut tirer des conclusions et non dans ces actions bien précises. Et c'est facile de juger ou de condamner des parents maladroits lorsque l'on n'est pas dans cette énorme émotion qu'est celle de la rencontre avec son enfant, que l'on a des pros en la matière, et que l'on connait par coeur le sujet... Avec le recul, nombreuses familles me commentent leurs maladresses passées, mais comme ils le disent si bien, ils étaient dans une telle émotion qu'ils n'avaient pas toute leur tête....
Quant à mon avis sur le rapatriement des enfants, il n'est pas le même que ces psys. Non, je ne pense pas qu'on doive geler l'arrivée des enfants, car je suis convaincue qu'ils souffrent là-bas et qu'il est essentiel de les "sortir" de là au plus vite. De toutes façons, séisme ou pas, moins un enfant passe de temps en orphelinat, mieux c'est pour lui, aucun psy ne pourra dire le contraire ! Concernant ces enfants haïtiens, le mal du séisme a été fait sur ces enfants, avec ses conséquences immédiates sur ceux qui ont vu s'écrouler les bâtiments, qui ont entendu ou vu la mort de près, qui ont pu ressentir cette terrible peur lorsque la terre tremblait.
Et maintenant et dans le futur immédiat, il y a les terribles conséquences matérielles : la précarité de leur vie, lorsqu'ils dorment dans les tentes sous la pluie, le manque d'approvisionnement et de personnel comme les directeurs de crèches ou médecins français qui les décrivent régulièrement ici ou ici. Les laisser dans de telles conditions est prendre un risque de vie et de traumas supplémentaires sur les enfants. Ces enfants sont fragiles, point de vue santé physique et morale, et ces conditions de vie les fragilisent encore plus... En tant que maman, accessoirement adoptive et accessoirement bénévole, mon coeur pleure pour eux, et je partage la peur de ces parents qui savent que leurs enfants courent ce moment de gros risques là-bas.
A trauma de cette vie matérielle difficile se rajoute surement un autre trauma, bien moins visible mais certainement tout aussi désastreux : celui transmis inconsciemment par les adultes entourant ces enfants plongés dans une forte dépression, deuil et tristesse. Les enfants ont le sait, ont une capacité à comprendre, anticiper et s'approprier la souffrance des adultes. Et a mon avis en ce moment ils doivent absorber comme des éponges le trauma, le deuil et la tristesse des adultes autour d'eux qui ont du perdre biens et proches il y a un mois. Ce pays tout entier est en plein deuil, trauma et depression, les adultes passés le choc des premières semaines doivent être actuellement tous plongés dans un désespoir profond que forcément les petits ressentent et absorbent de toute leur âme... Cela m'évoque le peuple Rwandais, qui 14 ans après le génocide est un peuple "dépressif et traumatisé", comme me le décrit souvent ma copine Jolik', franco-rwandaise. Ces enfants en subissent les conséquences de cette dépression nationale, outre le matériel il y a tout l'affectif qui doit passer via le personnel qui s'occupe d'eux tant bien que mal.
Aussi, les parents auraient du être préparés à ces rencontres difficiles, et devraient être solidement suivis une fois les enfants arrivés au foyer. En tout cas nous, OAA, c'est ce que l'on s'efforce de faire. Mais qu'en est il en individuel ? Quel encadrement ont ces familles ? Ces enfants auront besoin de beaucoup de temps pour se sentir sécurisés dans leur nouvel environnement, ce qui sera sans doute mal vécu par bien des familles si cela perdure de trop, j'espère qu'elles seront bien épaulés. Car il faut être costaud pour encaisser les crises des enfants, les réactions irationnelles, les fréquents cauchemards et angoisses nocturnes... Et bien conseillés : un rythme de vie à horaires hyper réguliers, sans déménagements (pour éviter le classiques "aller, on part en vacances présenter notre fiston à mamie à 400 bornes de chez nous au bout de qqs semaines de vie en France..."), éviter les visites de personnes extérieures qui vont perturber l'attachement entre parents, fratrie existante et enfants... Tout ces points et bien d'autres sont essentiels pour sécuriser leurs enfants dans leur nouvel environnement. Et cela pendant des longs mois, ces traumas ne s'effacent pas en quelques semaines, oui faut avoir une vie monacale pendant de longs mois, c'est pas drôle pour les parents et les autres frèrees et soeurs, mais c'est souvent plus que nécessaire pour l'enfant...
(et ça c'est un message perso à tout les parents qui se cassent en vacances au bout de qqs semaines de vie avec leur enfant, à chaque fois ça me fait huuuuurler, mais bon comme on dit chacun fait ce qu'il veut avec ses gosses !).
Bref, contrairement à ces deux psys dont je respecte les points de vue, j'éviterais de faire des conclusions hâtives quant au trauma définitif de ces enfants. Mais peut-être que je me trompe et pas eux, car après tout ils y étaient et pas moi, et eux sont des pros dans le domaine depuis bien des années, et ma ptite expérience est sans doute light par rapport à le leur. Mais bon, c'est plus fort que moi, il faut que je me positionne sur le sujet. Et après tout, si on me critique en me disant que je suis mal placée derrière mon clavier pour faire des conclusions, pourquoi pas, je l'assume. Je donne mon point de vue de "derrière mon clavier", à prendre, à laisser, ou à casser, c'est aussi ça un blog. La provoc' me fait souvent avancer dans mes pensées plus subtiles que celles de Moushette...
Par contre, je rejoins tout à fait ces psys par rapport au trauma généré aux enfants en les faisant rapatrier balottés de mains en mains, sous pretexte d'une situation humanitaire d'urgence (au bout de un mois peut-on encore appeler ça de l'urgence ???). Mais le gvt l'a bien compris et a rectifié le tir depuis, comme je le disais plus haut. Je trouve cette initiative excellente, et je félicite la SAI pour cela.
Et honnêtement à la SAI, je les plains : d'un côté il y a les parents qui mettent la pression pour accélérer le processus appuyés par une large couverture médiatique, de l'autre y a des pros comme ces psys qui condamnent leurs actions, l'UNICEF qui met en garde, tandis que l'ombre de l'ADZ plane au dessus de tout cela, leur mettant la pression pour que la France soit exemplaires point de vue formalités administratives...