De l'antique Memphis au Caire d'aujourd'hui
Le voyage commence dès le survol, depuis Roissy via Le Caire, des Alpes, de la baie de Naples, de la Méditerranée. La vue des montagnes enneigées, des côtes découpées dans la lumière du soir assure la rupture avec le quotidien et, ce, dans une bienheureuse apesanteur. Naviguer au-dessus des nuages avant de naviguer sur les vagues, quelle meilleure transition ! Mais avant de rejoindre notre bateau à Sharm-el-Sheikh pour une croisière en mer Rouge, nous nous sommes accordés 3 journées au Caire, ville tentaculaire, bruyante, poussiéreuse, dont seuls le musée et les monuments environnants de Saqqara et de Giseh sauront nous séduire. Cette mégapole semble la proie d’une constante effervescence, labyrinthe de rues et de ruelles qui s’entrechoquent, de quartiers poussés au hasard d’une démographie galopante, où l’on surprend à tous moments des scènes cocasses : des jeunes gens assis sur les capots des voitures quand la place vient à manquer à l’intérieur, cyclistes remontant les avenues et même les autoroutes à contresens, les ânes et leurs fardeaux mêlés aux voitures les plus modernes dans un bruit discordant de klaxons et, toujours, ce spectacle anachronique d’une femme voilée jusqu’aux yeux qui traverse les rues son portable à l’oreille. Aujourd’hui, il n’y a pas moins de 20 millions d’habitants au Caire, la plupart tassés dans les bidonvilles ou les immeubles insalubres aux façades lépreuses. Une grande misère y règne, sans nul doute, mais comment gérer un pays de 72 millions d’âmes quand 4% seulement du territoire est habitable - soit les abords du Nil - le reste étant occupé par le désert arabique, libyque et celui grandiose du Sinaï. On peut se poser la question de savoir s’il n’était pas préférable de vivre ici du temps d’Aménophis III ou de Ramsès II, il y a quelques 3600 ans plutôt que de nos jours dans une surpopulation, une pollution et une circulation qui enlèvent beaucoup d’attrait à cette capitale. Nous découvrirons plus tard que le long des canaux d’irrigation proches du Nil où vivent les agriculteurs qui possèdent tous, depuis Nasser, leur lopin de terre et bénéficient de 3 récoltes de céréales par an, la situation n’est guère plus enviable. Sans être malheureux, nous assure notre guide local, ils s’accommodent d’une existence incroyablement primitive au milieu de leurs bêtes, à même la terre battue et parmi leurs immondices qui jonchent chemins, villages, cours d’eau, le plastic étant parvenu jusqu’ici, hélas ! Ces images ne peuvent manquer de frapper le touriste éberlué à la vue des splendeurs des sites archéologiques et le charme indéniable des berges du Nil et stupéfait du contraste qui existe entre ces beautés insurpassables et la misère endémique, la violence rampante que l’on perçoit à tout instant, ce qui oblige la police a être omniprésente et le voyageur à se plier à des contrôles militaires permanents sur les routes. Il est compréhensible que le gouvernement égyptien tienne à veiller sur le tourisme, qui est l’une des ressources principales du pays avec le canal de Suez et le pétrole exploité dans le Sinaï, mais cela gâche un peu le plaisir de la visite.
Tout est différent en Jordanie, où nous nous rendrons au cours de notre croisière. Ce pays évolue dans une relative sérénité, bien qu’entouré de nations qui ne sont pas de tout repos, entre la Syrie au nord, l’Irak au nord-est, l’Arabie Saoudite au sud et Israël au sud-est, ce qui ne le met nullement à l’abri d’un embrasement mais qui, grâce à la politique pacifiste du roi Hussein poursuivie par son fils Abdallah, optant l’un et l’autre pour la neutralité, a fait d’Amman, sa capitale, un refuge propice aux investissements et assure à ce petit pays, sans ressources pétrolières, une existence honorable et l’éclosion d’une élite cultivée et assez francophone.
Il n’en reste pas moins vrai que Le Caire fascine, ne serait-ce que par les trésors que recèlent son musée, la nécropole de Saqqara et l’ensemble funéraire de Zoser, enfin par l’énigmatique visage du Sphinx de Giseh et les trois pyramides de Kheops, Khephren et Mykérinos disposées en diagonale, de façon à ce qu’aucune ne cache le soleil aux deux autres. Le spectacle qui s’offre au visiteur est certainement l’un des plus beaux que la main de l’homme ait pu concevoir. Sans aucun doute, ces œuvres gigantesques ont été édifiées par une civilisation qui croyait en la permanence des choses, le contraire de la nôtre centrée sur le profit et l’éphémère. Le même émerveillement nous saisira, lorsque ayant embarqués sur notre bateau à Sharm-el-Sheikh, nous ferons escale au port de Safaga pour nous rendre, à travers le désert arabique, à Louxor, l’ancienne Thèbes, où s’étend le domaine monumental de Karnak, dont les dimensions sont stupéfiantes. Un monument qui pourrait contenir Notre-Dame de Paris toute entière et dont l’hypostyle continue à défier les siècles et à susciter les hypothèses les plus folles, car comment des hommes sont-ils parvenus à poser sur les colonnes de 23m de hauteur des travées de 450 tonnes ? On a cru, à tort, que les pharaons avaient eu recours à des esclaves. Cette thèse n’est plus retenue de nos jours, tant il est vrai que des hommes maltraités et humiliés n’auraient jamais été en mesure de réaliser des monuments pareils, des fresques, bas-reliefs, statues, frises etc. d’une telle perfection. Non, il s’agissait d’ouvriers, d’artisans, d’artistes, qui travaillaient sur les lieux plusieurs mois par an, en dehors des moments de crue du Nil, avaient leurs villages, y demeuraient avec leurs familles et bénéficièrent de leurs propres tombes, puisque l’on a retrouvé, proche de la vallée funéraire des rois et des reines, la vallée des ouvriers où ils étaient inhumés selon les rites en vigueur à leur époque.
Une felouque sur le Nil et le temple de Karnak
Revenus à Safaga, nous ré-embarquons pour nous rendre en Jordanie, très précisément au port d’Aqaba, le seul que possède ce pays, en longeant l’étroit golfe qui sépare l’Arabie Saoudite de la presqu’île du Sinaï. De part et d’autre, les berges sont superbes, abruptes ou sableuses puisque viennent y mourir des déserts et qu’au loin se dessinent les vagues minérales de roches couleur ocre qui ont donné à la mer son nom de « mer Rouge ». Au coucher du soleil, les paysages flamboient, tandis que le bateau navigue dans une eau corallienne et cristalline, la plus salée et la plus chaude de la planète, ce qui a fait d’elle le paradis des amateurs de plongée sous-marine. Aqaba est lié au nom de Lawrence d’Arabie qui, à la tête d’une troupe de Bédouins, vint déloger les Ottomans réfugiés dans le Qasr - le Fort - construction massive datant du XVIe siècle qui avait pour fonction de protéger les pèlerins qui se rendaient à la Mecque. La défaite de la garnison, qui s’en suivit, marque le début de la marche victorieuse vers l’indépendance et la naissance de l’actuel royaume de Jordanie. L’intérêt principal de notre escale est de nous permettre de nous rendre sur les lieux les plus prestigieux du pays : le désert de Wadi Rum, considéré à juste titre comme le plus beau du globe, et à Petra, le complexe monumental plusieurs fois mentionné dans la Bible, qui abrita la civilisation disparue des Nabatéens.
Comment décrire Petra sans user de superlatifs, tant l'émotion est au rendez-vous, lorsque débouchant du Siq étroit qui y conduit, on découvre soudain le monument que l’on nomme le Trésor, un temple funéraire taillé dans la roche et sur la façade duquel le soleil fait chatoyer les couleurs. L’envoûtante beauté de ce monument et sa position scénographique laisse littéralement bouche bée et notre émerveillement est amplifié par son état de conservation presque parfait. Aujourd’hui encore quelques familles de Bédouins sont établies dans l’aire archéologique de Petra : ce sont eux les actuels habitants de la ville pourpre. Car l’antique capitale nabatéenne avec ses rochers multicolores, ses gorges profondes et ses extraordinaires structures sculptées dans le grès il y a deux mille ans, s’étend sur une zone très vaste, au croisement de plusieurs défilés. Elle fut élevée au rang de capitale pour des raisons de sécurité par ces peuples de marchands : bien cachée dans la montagne et difficilement accessible, elle constituait un refuge idéal. La possibilité de rejoindre rapidement la mer Rouge favorisait les échanges avec l’Arabie et la Mésopotamie, alors que la piste qui traversait le Néguev vers Gaza assurait l’accès à la Méditerranée.
Petra ( le Trésor ) et le désert de Wadi Rum ( prononcer Roum )
Après Petra, ce sera le lendemain, en jeep, une longue randonnée dans le désert de Wadi Rum, paysage féerique et étendue lunaire absolument grandiose, qui, durant des siècles, a permis de relier l’Arabie à la Palestine. Cela peut paraître incroyable, mais c’est une région où les sources abondent, si bien que ce désert était une étape obligée pour les caravanes qui transportaient les épices et l’encens du royaume de Saba aux portes de la Méditerranée. De nombreuses inscriptions rupestres témoignent d’une occupation humaine dès le paléolithique. Célèbre pour ses rochers aux formes surréelles, sculptés par le vent, le Wadi Rum est aussi un symbole de l’indépendance nationale jordanienne. En effet, pendant la Première Guerre mondiale, les troupes commandées par le colonel Lawrence ont planté ici leurs tentes avant de se lancer à l’assaut de la forteresse d’Aqaba occupée par les Turcs. C’est ici également que l’agent anglais écrivit ses mémoires « Les sept piliers de la sagesse », où il dresse un tableau épique de la beauté sauvage de ces paysages parmi les plus beaux du monde, et que fut tourné le film de David Lean qui retrace son épopée. Les yeux emplis de ces visions exceptionnelles, et après une tasse de thé et quelques dattes offertes par des Bédouins, nous regagnons notre bateau pour une ultime navigation vers notre point de départ : Sharm-el-Sheikh.
Depuis cette station balnéaire sans autre intérêt que la plongée, nous avions programmé la visite d’un dernier haut lieu : le monastère Sainte Catherine dans le Sinaï. Le plus petit diocèse est en même temps le plus ancien monastère chrétien connu et aussi la plus riche collection d’icônes et de manuscrits précieux. Ce fut l’impératrice Hélène, mère de l’empereur Constantin, qui, impressionnée par la sacralité des lieux, commanda l’élévation d’une chapelle à l’endroit où se trouvaient le puits de Moïse et le buisson ardent. Plus tard l’empereur Justinien ordonna la construction d’une forteresse qui incluait l’édifice de Sainte Hélène. Le couvent est habité, de nos jours, par une trentaine de moines de confession grecque orthodoxe et abrite également une mosquée, car les moines avaient demandé au VIIe siècle la protection de Mahomet, alors simple bédouin ( on voit encore le manuscrit signé de sa paume de main ), face aux dangers que faisait peser sur eux la présence arabe dans la péninsule, si bien que cette Mosquée a eu comme avantage de les protéger de l’occupation ottomane des siècles suivants et de garantir leur indépendance. La grandeur solitaire du Sinaï se révèle d’une spectaculaire beauté. Peu d’êtres humains y vivent. A part les villes de la côte, la Péninsule n’est habitée que par une poignée de Bédouins qui subsistent grâce aux palmiers dattiers et au lait de leurs chèvres et de leurs brebis. Le désert appartient au loup et au renard, à l’aigle et à la gazelle, et aux touristes attirés par la grandeur de cette terre biblique. C’est ainsi que parvenus, après cette dernière visite, au terme de notre voyage, nous reprendrons l’avion à l’aube du lendemain afin de regagner une France sous la neige et livrée aux derniers frimas d'un long hiver.
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Le mont Moïse Le monastère Sainte Catherine