Un mineur de 17 ans, arrêté dans le cadre d’une procédure pénale relative à un vol à main armée commis en réunion, fut placé en garde à vue durant six jours. Au terme de cette période, diverses blessures furent constatées sur l’intéressé - tout comme sur certains de ces coaccusés. Les policiers affirmèrent qu’il « avait eu […] le bras coincé par la fermeture automatique des portes de l’ascenseur » (§ 8) et certains passages d’un premier rapport médical furent effacés (§ 9). Durant son procès, qui se solda par une condamnation à une peine de seize ans et huit mois d’emprisonnement, il « affirma [….] avoir subi les traitements suivants : passage à tabac, torsion des testicules, électrochocs, station sous des jets d’eau froide, mise à nu et pendaison palestinienne. Il ajoutait avoir subi un harcèlement verbal et des pressions psychologiques » (§ 15). Pourtant, sa plainte pour torture qui visait les policiers fit l’objet d’une ordonnance de non-lieu rendue par le Procureur de la République pour cause de prescription.
La Cour européenne des droits de l’homme rappelle avant toute chose que la protection contre les faits de torture (Art. 3) est encore plus impérieuse au sujet d’un « individu […] privé de sa liberté » (§ 32).
Cette protection se manifeste notamment par un renversement de la charge de la preuve au détriment de l’État qui, « lorsqu’une personne est blessée au cours d’une garde à vue, alors qu’elle se trouvait entièrement sous le contrôle de fonctionnaires de police », doit « fournir une explication plausible sur les origines de ces blessures et […] produire des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur les allégations de la victime » (§ 34).
De plus, afin d’éviter de permettre « à des agents de l’État de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux qui sont soumis à leur contrôle », l’article 3 exige une « enquête officielle et effective » sur ces allégations (§ 35). Or, en l’espèce, au vu de l’ensemble des faits (doute sur la fiabilité du premier rapport médical - § 39 - ; incompatibilité de toutes les blessures avec l’explication des policiers - § 41), « la Cour juge établi en l’espèce que les nouvelles blessures relevées lors de l’examen médical de fin de garde à vue ont pour origine un traitement dont le Gouvernement porte la responsabilité » (§ 42). De plus, « la protection accrue qu’exigeait [le] statut de mineur » du requérant, statut qui le rend « particulièrement vulnérables face à diverses formes de violence », n’a pas ici été accordée, notamment du fait de l’absence « d’assistance d’un avocat commis d’office à la suite de son arrestation » (§ 43). Enfin, l’inaction des autorités suite à la plainte pour torture déposée par le requérant est vertement fustigée par la Cour (§ 44-46) qui souligne le caractère récurrent de cette situation dans « le système pénal turc » (§ 47) au point que « les auteurs présumés des actes de violence [aient ici] joui d’une quasi-impunité » (§ 48).
Les juges européens condamnent donc la Turquie pour une double violation de l’article 3, tant dans son volet matériel (actes de tortures commis par les policiers) que procédural (absence d’enquête effective et de sanction de ces actes - § 49).
Alkes c. Turquie (Cour EDH, 2e Sect. 16 février 2010, Req. no 3044/04 )