Inimitable Blondin ! Jusque dans sa correspondance la plus simple, la plus courte, on retrouve l’efficacité de son style, ses plus simples jaillissements de la langue. On connait bien sûr l’auteur d’Un signe en hiver pour ses bons mots, son ton souvent léger, la force tragique aussi de ses romans, ses nouvelles, ou de ses scénarios de films. Le voilà maintenant présenté dans sa version d’épistolier.
A mes prochains porte donc un titre qui en dit long sur ses relations épistolaires entretenues de manière très irrégulières certes, mais fidèlement tout au long de quarante longues années avec ceux dont il partageait la vie et, sans qui, il n’aurait pu aller jusqu’au bout de la sienne.
Que ce soit ses lettres longues ou la moindre carte postale, voilà qu’il nous apparait qu’Antoine Blondin n’écrivait jamais à la légère. Quarante années de correspondances sont ainsi reprises ici ; peu de lettres en somme, une quantité qui rejoint la minceur d’une œuvre pourtant forte, colorée, à l’image d’une vie, difficile souvent, mais pleine de grivoiseries, se partageant entre Tours de France, voyages, mais aussi la difficulté d’écrire ; sans oublier bien sûr ses « prochains » : autant de visages, autant de figures qui colorent le paysage littéraire, qui occupent sa vie et sa pensée ; le destin d’un homme joyeux et vagabond à l’extérieur, mais pétrie à l’intérieur d’une angoisse existentielle, de doutes profonds qui gravent une vie. C’est d’ailleurs à sa mère, en 1943, qu’il écrit ces quelques lignes : « Spirituellement, l’ascendant progressif que je prends sur mes camarades de chambre m’est un réconfort puissant. Je cherchais un sens profond à ma présence ici, je l’ai trouvé. Elle doit être celle d’un pitre et celle d’un chef. » Voilà qui est dit ! Ces correspondances sont ainsi l’expression de la vie d’un singe en plein hiver, parfois dégouté d’écrire, jamais d’aimer, jouant les bohèmes, les insouciants, et qui a fini par accepter son image de joyeux drille, de poète ami de la bouteille et de la fête. Ces quelques lettres, ces quelques cartes postales sont précieuses pour les amateurs de Blondin : elles nous dévoilent un tout autre personnage que celui que l’on croyait connaître jusqu’ici. Celui d’un homme prenant ses responsabilités de fils et de français ; celui d’un homme obsédé par son passé, le sens de sa vie, le sens de la famille et de l’amitié fraternelle. C’est le portrait d’un homme qu’il nous dessine, dans ses lettres ou cartes postales parfois reproduites dans ces pages, selon un graphisme rond, dont la particularité essentielle, exquise, était de ressembler à celle d’un enfant, caractéristique d’un Blondin qui semblait avoir du mal à assumer sa condition d’adulte. Un adulte en proie au difficile métier de vivre, souvent insatisfait ; occupé autant par l’écriture que par ses prochains, conscient du désordre dans lequel il se débattait, et se demandant sans cesse, ce que la vie avait fait de lui. Autant baladin qu’écrivain épris de doutes, c’est surtout l’âme d’un poète que la vie n’épargne pas toujours que l’on lit s’exprimer silencieusement dans cette correspondance, dont la densité, la force n’ont d’égale que la minceur.
(Paru dans le magazine en ligne Boojum-mag.net, fev 2010.)
(Texte établi à partir de A mes prochains, Lettres 1943-1984, La table Ronde, 2009.)
En ouverture :
Antoine Blondin au travail