Risquons une provocation : le monde est victime depuis quelques siècles d'une catastrophe spirituelle, les grands monothéismes, d'un séisme déshumanisant (le pan-économisme, la chosification de l'univers, de l'Autre), et il a besoin d'Haïti pour reconstruire un mode d'être-au-monde non plus illusoire et mortifère, mais authentique (aussi galvaudé que soit ce mot aujourd'hui, très prisé par la publicité), en sympathie avec la vie dans toutes ses dimensions, et bien sûr créateur.
C'est ce que j'aimerais exprimer en des termes plus convaincants, c'est ce que montre magistralement Wilson Décembre dans le livre qu'il vient de publier aux
éditions L'Harmattan :
Vitalité et Spiritualité: Apologie du rapport-au-monde afro-haïtien
Wilson Décembre enseigne la philosophie. Il est admirateur de Nietzsche, grand amateur de jazz et fin connaisseur de la culture haïtienne, et c'est en philosophe qu'il tisse des liens entre tous ses centres d'intérêt, pour révéler en quoi Haïti est riche, riche d'un trésor que le monde aurait tout intérêt à partager.
Présenté ainsi, l'ouvrage a de quoi intriguer. Tant mieux. J'ai eu la chance d'être collègue de Wilson Décembre quelques années, et de l'entendre faire cours à ses élèves de Terminale. Il passait du créole au français, des hauteurs conceptuelles à l'anecdote jouée, le tout avec une force de conviction toute théâtrale. Un enseignement à l'image de son attachement aux notions de jeu et d'art, qu'il considère comme les meilleurs remèdes aux maux du monde moderne.
J'oublie l'essentiel, volontairement, ce qui dans la culture haïtienne constitue la plus grande originalité, la plus grande expression de spiritualité, la plus pure communion avec la vie (celle d'ici-bas, liée à la terre, corps et esprit réunis), le plus grand ferment de créativité. Mais convoquer cette substantifique moëlle, c'est risquer de déchaîner un ouragan de clichés, de l'obscurantisme aux fantasmes d'occidentaux en mal de fantastique.
Evidemment, il s'agit du vodou.
L'auteur ne cherche pas à voiler la sorcellerie à laquelle beaucoup, et notamment certains Haïtiens, veulent le réduire, ni la schizophrénie de ces derniers ou le risque de déconnexion du réel. Peu amateur de surnaturel, il plonge cependant au cœur de l'esprit du vodou, s'attachant surtout à ses symboles (car il ne s'agit évidemment pas d'une entreprise de prosélytisme), l'éclairant de références à l'Afrique et à Dionysos, et montre ce qu'il recèle de ressources spirituelles.
Je me répète, et, ne pouvant me risquer, faute de posséder le vocabulaire, les notions ou les références adéquates, à un commentaire dépassant vraiment la simple présentation, je me bornerai à ajouter qu'à la lumière de la puissance fécondatrice du vodou, Vitalité et Spiritualité permet également de découvrir la peinture, la musique (un grand hommage est rendu au tambour), la danse, et dans une moindre mesure la littérature haïtiennes, ainsi que l'histoire de ces arts. L'auteur donne ainsi une série de noms et de références qui peuvent aiguiller ceux qui, lassés des groupes de compas love façon T-Vice, veulent aller plus avant sur le chemin de la culture haïtienne.
L'ouvrage de Wilson Décembre est disponible (voir le lien plus haut) en version papier, mais aussi en ebook (PDF) sur le site de L'Harmattan. Il est malaisé de choisir un extrait qui puisse être à la fois bref et significatif, et qui ne coupe pas le déroulement de la pensée de l'auteur. Pour encourager à le découvrir, je vous propose un article signé de lui sur le site Tanbou :
Crise dans la Civilisation: et si nous repensions notre rapport au monde?
Bonne lecture.
P.S. Ceux qui connaissent l'auteur ne s'étonneront, avec moi, que d'une chose : qu'il ne soit pas parvenu à glisser de plus fréquentes références à son groupe favori, Magnum Band. Dans un prochain ouvrage, peut-être...
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