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"Quand le gouvernement discute à fond"

Publié le 17 février 2010 par Copeau @Contrepoints

Le gouvernement, actuellement, est confronté à trois attaques simultanées de la part du méchant monde réel : sur le flanc droit, c'est l'attaque de la Sécurité Intérieure qui vient mordiller les mollets de la République du Bisounoursland. Sur le flanc gauche, on trouve le vaste champ de mine de la Réforme de la Retraite. Et droit devant, avec une puissance de feu particulièrement forte et, bien évidemment, très sous-estimée, il y a La Bonne Grosse Crise Qui Fait Mal.

Le plan de bataille est déjà, quasiment, fixé.

Fixé ? Que dis-je ! Figé. Dans le marbre. Et le béton. Et l'époxy. Il s'agira de faire ce qu'on sait le mieux faire en France depuis quelques temps : ne surtout pas bouger, d'un millimètre. Et pour s'assurer que cette immobilité sera accueillie avec tout l'enthousiasme nécessaire pour que chacun s'implique dans la non-action décisive, plusieurs mesures sont à l'étude.

Et c'est l'occasion d'introduire un nouveau produit Demaerd Corp, cette société tentaculaire qui fournit tout le monde en tout et n'importe quoi depuis la brosse à dents jusqu'au sous-marin nucléaire en passant par le ministre gouvernemental intérieur cuir et toutes options.

Ce produit, auparavant vendu avec la marque Perlin♥Pimpin sous forme d'une poudre dont on enduit tous les sujets histoire de les rendre plus actifs – comme les proverbiales enzymes de la lessive qui bouffent la tache et défont les nœuds – est maintenant disponible, sous le nom CNRF (Comment Ne Rien Faire), en cachets effervescents faciles à dissoudre : déjà utilisés (avec succès) dans les débats sur l'identité nationale, la burqua et les préservatifs du Pape, ils permettent de transformer instantanément une volonté d'action affichée en jus de boudin planqué tant bien que mal.

Ces cachets de CNRF sont particulièrement efficaces grâce à notre presse que le monde nous envie pour son aspect rigolo : en effet, en France et depuis quelques années, parler est maintenant confondu avec de l'action concrète, et les journalistes (spécialistes en la matière) passent donc leur temps à poursuivre les politiciens, détenteurs ultimes – et adoubés par le suffrage citoyen – du Mot, du Son Qui Sort De La Bouche.

Grâce à leur quête incessante pour les phrases, les mots, les paroles et les sons émis par les politiciens, les journalistes récoltent des bouquets de concepts évasifs qu'ils font s'épanouir dans une grande farandole bigarrée d'articles d'opinions présentés comme factuels histoire de pousser à la roue rutilante du ReNOuvEau SociÉtAl de dEmaiN.

Cette froufroutitude se traduit concrètement par un tarissement de toute réflexion, une évaporation de l'analyse et une disparition de la prise de recul pour tout, tant chez les politiciens, qui sucent à 20 bars de pression l'actualité jusqu'à la moelle, que pour les journalistes, qui fournissent les pailles.

Ainsi, pour la Sécurité Intérieure, il s'agit de mettre en place la LOPPSI, une loi pleine de novlangue à la fois intelligente et bien étudiée puisqu'elle transforme la vidéosurveillance en vidéoprotection – chazam, c'est ça, le Pouvoir des Mots – et empêchera pour ainsi dire complètement toute expression de la moindre divergence, du moindre humour ou de la plus petite dissension dans le public. J'exagère ?

Presque pas : de façon tout à fait officielle, on apprend (par PC Impact ici et là) que taguer une photo sur Facebook, ou passer par un proxy d'anonymisation peut rapporter quelques petits soucis comme un an de prison ou 15.000 euros d'amende. C'est un peu ennuyeux, ne trouvez-vous pas ? Un peu comme un pieu dans les parties basses, en somme…

Mais rassurez-vous ! Pendant que la police arrêtera les dangereux blogueurs qui détournent des photos et qui utilisent un firewall un peu sophistiqué pour diffuser des idées séditieuses sur la liberté d'expression, l'autre partie de la lutte contre l'insécurité, elle, sera lancée avec tambours et trompettes.

Contre les grosses racailles qui jouent du couteau dans les cours de récré, contre les trafics de stups et les menaces physiques ou verbales contre les profs, contre la voyoucratie qui fait régner la terreur dans les collèges et les lycées de France, Luc Chatel a, comme d'habitude, une solution prépackagée à proposer : une bonne décharge de Grenelle dans les fesses … du moutontribuable. Pif ! Paf ! Pouf ! Excusez-moi, c'est parti tout seul – bad trigger reflex – et nous voilà repartis pour un round d'états généraux dont on devine, avant qu'ils soient finis, qu'aucune solution n'émergera.

C'est encore la magie du cachet Demaerd CNRF : on va vite vite parler de tous nos problèmes, et on va en discuter, puis dialoguer, puis échanger des points de vue. Ensuite, on fera une conférence, un Grenelle, des états généraux et hop, quelques conversations plus tard, on aura bien mesuré les différences qui font notre richesse et tout ça. Voyez ?

Et question action concrète ? Mmh ?

Oui euh et en ce qui concerne les retraites, outre l'aspect assez fuyant de certain nombre qui n'existe pas, on va là encore trouver une solution simple, efficace et qui a fait ses preuves : on va en parler. Il est vrai que, question action, tout ce qu'on nous propose est un pauvre petit appel du NPA (la phalange d'intervention ultra-trostkyste canal historique) dont l'idée de base consistait … à se rassembler pour en discuter – on ne change pas une méthode employée partout ailleurs, hein. Appel à se faire une bouffe et à en discuter qui n'a déclenché aucun enthousiasme nulle part, les autres néo-cocos ayant déjà des réunions pour se parler prévues dans leurs agendas respectifs.

On comprend mieux la mine fatiguée du leader collectiviste à la sortie de son interrogatoire discours plein de paroles qui font bouger les lèvres à Marseille.

L'insécurité étant traitée par des paroles, les retraites prenant le même chemin guilleret, on peut gager que la Criiise va suivre, à petit pas joyeux.

Bingo ! Il aura fallu que la Grèce tousse franchement pour qu'on en discute un peu. Avant, c'était surtout le règne du Relax Max, Tout Va Bien. Et depuis, … bizarrement, on est à la cure de cachets CNRF enfilés les uns sur les autres au point que même en parler devient pénible. Silence radio, calme plat, les seuls prouts un peu stridents sont émis par Christine Lagarde pour détendre l'atmosphère et faire comprendre que Tout Va Mieux Que Bien.

En réalité, tapis dans l'ombre, un Acteur, un type qui Fait et qui ne cause pas, attendait calmement.

Et d'un bond, zoup, félin comme un Rominagrobis au ventre bien repu des milles souris qu'il a déjà gobées, Darcos a chopé le sujet par le cou et, d'un coup de crocs affûtés comme du beurre chaud, a posé un geste.

Il avait oublié son cachet CNRF.

Et c'est le drame : pour lutter contre la crise ET les départs prématurés en retraite, notre matois matou propose … d'interdire les plans sociaux visant les séniors. Voilà. Fastoche, les soluces, à l'UMP, non ?

La prochaine étape sera d'interdire les plans sociaux de jeunes, l'étape ultime consistant, c'est absolument machiavélique, en l'interdiction des plans sociaux des ni-jeunes ni-vieux. Et là, la domination intellectuelle de l'UMP sur le sujet sera totale, mouah ah ah !!!

Et si l'on ajoute que la domination de l'UMP s'étend jusqu'à l'internet avec leurs Créatures du Passé, on peut dire que, c'est sûr, ça va discuter sec sec sec ! C'est moi qui vous le dit ! Des colloques, des dialogues, des états généraux, des Grenelles, des conférences, des débats ! Un festival ! Un feu d'artifice d'actions mandibulaires !

Mon billet est déjà long et il serait facile de prouver que tout ce blabla d'ampleur cosmique (dont la loghorrée législative fait évidemment partie) provient d'une peur panique de l'action concrète qui tache et fatigue. Coincés avec le sourire en mode statue depuis le premier jour de son quinquennat, Sarkozy a su, véritablement, impulser un extraordinaire pas-mouvement d'ensemble sur les sujets de fond et permettre à toute une galaxie de petits trous du culs de s'agiter en frétillant dans de petits pets de pensée sans intérêt.

Et des pets, pendant cinq ans, c'est long.

Source : H16

Texte repris du blog de H16 avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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