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Quand 7 heures se sont fait entendre au réveil, je n'avais pas encore eu le temps de fermer les yeux. Dorothée et moi avions passé la nuit à rattraper le temps
perdu, ces 5 ans qui nous séparent dans la fratrie, son handicap, mon départ prématuré, nos scolarités, les garçons, l'avenir, Jérémy qui ne bougeait pas encore dans mon ventre, la vie qui allait
changer dans quelques heures, sans vraiment se bouleverser...
D'un bond, je me suis levée, alors la batterie de ses 13 ans donnait ses premiers signes de faiblesse et qu'enfin elle s'endormait.
J'ai déjeuné sans appétit, nourrie par l'adrénaline qui lentement, prenait ses aises.
Ma grand-mère avait chauffé la salle d'eaux et préparé les serviettes qui tiédissaient près du soufflant.
Je pouvais prendre le temps de laisser l'eau bouillante détendre chacun de mes muscles et la vapeur dilater l'ensemble de mes pores, pour que la toilette soit plus efficace.
Ainsi nette et détendue, j'ai enfilé mon caleçon de grossesse et mon vieux pull Chipie cachant avec le temps jusqu'à la moitié de mes cuisses, et j'ai rejoint maman, Suzanne, Bérangère et Dorothée
dans la voiture.
Nous allions à la ville et ne devions pas nous égarer dans le temps.
Pendant que maman me confiait aux mains habiles et expertes de la coiffeuse, elle arpentait les rues de Carcassonne, à la recherche de l'accessoire de dernière minute.
Quand enfin à 13 heures, elle est revenue me chercher, j'étais prête de la tête au cou.
Inquiète par le retard pris sur la journée marathonienne, elles ont fini par m'avouer l'inavouable.
"En fait, on était presque arrivées à la maison qu'on s'est aperçues qu'on t’avait oubliée chez la coiffeuse, tu nous en voudras pas?
-Non, plus c'est gros, plus ça passe, allez, à table, j'en peux plus là.
-Comment tu vas manger avec le voile?
-Me débrouillerai, à la paille.
-Pour dépiauter une cuisse de poulet?"
Suzanne a pris un cliché rapide et flou de ma coiffe, j'ai avalé ma cuisse de volaille debout, dans la cuisine en travaux et suis montée achever mon déguisement de circonstance.
Quand je suis apparue en haut de l'escalier en chêne que mon grand-père avait voulu à son image, brut, sobre et solide, les premiers proches venaient d'entrer dans le hall. Ceux-là mêmes qui
m'avaient vue probablement à mes premières heures.
L'émotion devait être encore retenue quelques instants.
Dehors, sur la place, novembre connaissait une agitation anormale, malgré la pluie fine qui n'avait de cesse de faire reluire le paysage depuis l'aube.
J'entendais les premières conversations étouffées résonner contre les murs des bâtisses, perturbées par les 2 coups que la cloche de l'église rappelaient à l'assistance en effervescence que le
spectacle allait bientôt commencer.
Alors, seulement alors, papa m'a saisie par le bras, comme quand, petite, il voulait me mettre le nez au creux de ma bêtise. J'avais peine à régler mon pas sur le sien, c'était pour moi la première
fois que j'évoluais en jupon et talons.
J'ai répondu à une question évidente, à laquelle il a fait écho, devenant de fait mon Copilote.
Les premiers flashes nous ont aveuglés, les premières larmes sont apparues au coin des yeux et surtout les sourires se sont faits unanimes.
Pressant moins le pas, papa et moi sommes allés certifier l'acte solennellement, entraînant dans notre sillage gris et blanc, assorti au ciel coléreux, un cortège plus bigarré mais toujours
hilare.
Et pendant que Dorothée, Rose, Bérangère et les autres se voyaient confier la tache de décorer les voitures, je demandais à Copilote d'accepter d'être mon écrou, un rayon de soleil a filtré un des
vitraux du lieu saint et est venu caresser le couple que nous étions en train de former "jusqu'à ce que la mort nous sépare".
L'assistance pour la plupart pieuse a pleuré au miracle, a applaudi des 2 mains et s'est ébranlée vers le pont de fer, histoire de se réchauffer.
Sous la pluie de riz encore à l'époque de tradition, sous les regards et les objectifs avides, et dans un brouhaha extraordinaire, Copilote et moi avons échangé notre premier baiser légitime et
béni.
Par 3 ou 4 fois, nous sommes restés sincères pour le rendu photographique de chacun.
C'était le samedi 14 novembre 1992.
Il y a 15 ans à peine.
Il y a 15 ans déjà.
Je viens d'apprendre que ce sont des noces de cristal.