La semaine ciné : riche, très riche

Publié le 17 février 2010 par Petistspavs

Qui est in ? Qui est out ? chantait Serge Gainsbourg. Les deux semaines ciné précédentes incitaient plutôt à rattraper le retard pris au cours des semaines précédentes, plutôt qu'à courir lanterner devant les pâles lueurs des nouveautés. J'en ai peu profité, mais Mother, quand même, quel film, quelle vigueur, quel sens du retournement, de l'inversion dans ce Psycho tête en bas, celui dont, entre parenthèses, Gus Van Sant n'avait pas su capter l'esprit.
Cette semaine, au contraire (ô saisons, ô châteaux...) est si prometteuse que je ne trouverai jamais le temps pour laisser un petit mot galant pour chacun des films qui m'excitent. Je parle des nouveautés, j'espère oublier les reprises, si ternes il y a 7 jours (non mais, franchement, vous conseiller Le chevalier des sables...), si chatoyantes aujourd'hui !

Les choix seront donc très sélectifs et plus subjectifs que jamais.

Mais il est d'usage de vous laisser avec la musique d'un film. Cette fois, celle qui ouvre Le Procès (The trial) d'Orson Welles, tourné à Paris (notamment dans la station St Michel du métropolitain) en 1962, avec Anthony Perkins, Romy Schneider, Jeanne Moreau, Elsa Martinelli, Madeleine Robinson, Suzanne Flon, Akim Tamiroff, Fernand Ledoux, Michael Lonsdale et Orson Welles, bien sûr, avec Platon et sa Caverne aussi.
Le film débute par une sorte de préface, plutôt un prologue, composé de dessins très noirs, charbonneux et fondée sur l'allégorie de la Caverne de Platon. Le tout avec la voix sépulcrale d'Orson Welles qui dit sa propre interprétation de la Caverne, en mode kafkaïen, sur la musique très en vogue à l'époque de l'Adagio pour orchestre et orgue en sol mineur, connu en français sous le nom populaire d'Adagio d'Albinoni, œuvre non de Tomaso Albinoni, mais du musicologue italien Remo Giazotto, composée en 1958. Cette musique nostalgique et un tantinet pompeuse dans la dramatisation s'accorde assez bien avec mon état d'esprit, cet après-midi pluvieux, où je traîne une rhume ou une autre affection des voies ORL qui me laisse, comme l'a dit la pharmacienne, qui s'y connait en ces domaines mystérieux, "patraque". C'est mon dernier jour de vacances. L'interprétation est celle, somptueuse, de La grande écurie et la Chambre du roi.

LE COIN DU CINÉ-GOSSIP

Christophe Honoré : de La belle personne à L'homme au bain.
Le jeune cinéaste-écrivain-metteur en scène de théâtre surdoué (Dans Paris, Chansons d'amour, La belle personne, Non ma fille...) a engagé François Sagat, star internationale du film X gay pour interpréter le rôle principal de son prochain film, L'homme au bain, aux côtés de Chiara Mastroianni. Pas de jeu de mot facile à rechercher dans le titre du film qui évoque un tableau de Gustave Caillebotte, originaire de Gennevilliers, tout comme Sagat. Le film, dont le tournage débutera à la mi-avril, est d'ailleurs une commande du Théâtre de Gennevilliers et s'inscrit dans un projet collectif, porté par plusieurs réalisateurs, la seule figure imposée par Le Théâtre étant que les films se déroulent dans la ville.

Depuis 2004 (Ma Mère), Honoré était resté fidèle au subtil et romantique Louis Garrel, génial rejeton d'une dynastie cinématographique sans faute (son père Philippe, son grand-père Maurice). S'il est bien qu'un cinéaste aussi étonnant que Christophe Honoré nous étonne, j'espère qu'il reprendra au plus vite sa collaboration avec l'impeccable Louis, dont sont issus la plupart des films vraiment intéressants produits en France ces dernières années.

Nouvelle intervention de la police dans une salle UGC.
Noémie, une lectrice de Rue89, était installée dans une salle de l'UGC Opéra, à Paris, samedi soir. Des policiers débarquent alors pour appréhender une femme parce qu'elle était entrée dans la salle avec une boisson achetée à l'extérieur. C'est la troisième fois en quelques jours que des policiers interviennent dans des salles UGC, pour différents motifs prévus par le "règlement" du réseau.
A lire in extenso dans Rue 89, c'est assez édifiant CLIQUER ICI.
Je précise que je ne suis pas partisan de l'introduction de bouffe et de boissons dans les salles de cinéma. Quant à l'interdire et faire expulser les contrevenants par la police, qui a, à mon sens, bien autre chose à faire, il y a une marge plus que considérable. En effet, UGC, avec ses hypermarchés du film, a réussi en quelques années à transformer les salles de cinéma en boutiques à dévorer du pop-corn par kilos et des sodas au litre. Alors, charité bien ordonnée...
Moi, je ne fréquente pratiquement pas le réseau UGC. La programmation est généralement à chier, les films sont le plus souvent doublés en français et on n'y fait aucune découverte : si un film intéressant passe à l'UGC, 100 % de chances qu'il soit également programmé dans un réseau à peu près honnête, comme MK2.


LES FILMS DE LA SEMAINE

Tatarak
film polonais de Andrzej Wajda (2009, 1h25)
scénario collectif, dont Wajda et K. Janda   
directeur de la photographie : Pawel Edelman (ayant collaboré, outre Wajda, avec Polanski pour Le pianiste et The Ghost writer, qui est attendu, ici, avec impatience)
distributeur : Les Films du Losange
avec Krystyna Janda, Pawel Szajda, Jan Englert, plus
Synopsis : Dans une chambre d'hôtel, Krysyna Janda, actrice, parle des derniers moments de la vie de son mari, le chef-opérateur Edward Klosinski. Elle s'apprête à tourner le nouveau film d'Andrzej Wajda : Tatarak. Elle y joue le rôle de Marta, une femme d'âge mûr qui reprend goût à la vie aux côtés de Bogus, un jeune homme qui lui rappelle ses fils disparus.
Ces deux histoires, celle de Krystyna et celle de Marta, se fondent autour d'une même douleur : la perte de l'être aimé.
Rattrappé sur le tard par une polémique dont je ne me ferai pas l'écho, Andrzej Wajda a été, des années 60 aux années 80 un immense cinéaste. Ayant su pendant les années de glace se préserver de toute connivence idéologique avec le pouvoir stalinien en place, il a accompagné le mouvement syndical Solidarność dans une reconquête politique et morale de la démocratie. Deux films, en particulier, témoignent de l'engagement du cinéaste dans le mouvement démocratique, L'Homme de marbre (1977) et L'Homme de fer (1981). Ces deux films ont offert à la grande Krystyna Janda, lumineusement belle et intelligente, ses premiers grands rôles. Elle est restée fidèle à Wajda, tournant peu, tournant bien, se consacrant au théâtre et se frottant à la réalisation. Tatarak est, pour elle, comme pour le réalisateur, une affaire personnelle, puisqu'elle y évoque son mari, directeur photo ami de Wajda, et qu'il y met en scène une partie de son passé.

Quoiqu'il en soit, on ne peut passer à côté d'un nouveau et, peut-être, un ultime film du réalisateur de Cendres et diamant. Ce film (je sais, ça ne peut intéresser qu'un nombre extrêmement réduit de lecteurs) faisait partie des 10 que nous avions sélectionnés lors de la création du premier ciné-club auquel j'aie modestement participé, aux côtés des Fraises sauvages, de La règle du jeu ou d'Alexandre Nevski (et Bande à part, et La splendeur des Amberson). Une anecdote ? Le premier film que j'ai jamais présenté, Les fraises sauvages de Bergman. J'étais mort de trac. L'après-midi du samedi, on recevait la bobine, en 16 mm et on visionnait le film pour bien l'avoir en mémoire. Denis lance la projection de travail. Le film commence, un des plus beaux films du monde, avec le réalisateur Victor Sjöström (La charrette fantôme), Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Gunnar Björnstrand, presque toute la troupe, donc et... tout ce beau monde très suédois s'exprime en français... Et là, le flip de ma vie. Je devais, ce soir là, non seulement présenter très maladroitement un chef d'œuvre absolu, mais avouer au public en transe que le film serait en VF ! Terrible. La très majoritaire indifférence à cette annonce m'a sidéré. Anéanti, serait un mot plus sobre, pour la vérité.

Libé n'ose pas aimer et traite Tatarak parmi les "autres films" de la semaine avec cette conclusion qui me laisse un peu chose : "On est constamment partagé entre l’admiration pour un genre de cinéma crépusculaire et une folle envie de partir en courant avant de tomber en dépression grave". Dont acte. Télérama, qui n'adhère pas totalement, concède : "Le long des berges du lac, dans les hautes herbes ondulantes et la moiteur de l'été, Wajda compose une ode à la jeunesse avec des plans de corps et de paysages solaires et sensuels". Tout en soulignant la poésie et la sensualité d'une grande partie du film, Vincent Ostria des inrocks n'est pas réellement convaincu. Critikat ne le chronique même pas.

Ander
film espagnol de Roberto Castón (2009, 2h08)
Avec Josean Bengoetxea, Eriz Alberdi, Christian Esquivel, plus
Distributeur : Bodega Films

Synopsis : Une histoire d'amour entre un paysan basque et un immigré péruvien.
Ander a la quarantaine passée, il est paysan et vit dans un coin perdu de la Biscaye avec sa soeur Arantxa et leur vieille mère. Il mène une existence monotone et ne connaît que le travail, que ce soit à la ferme ou dans l'usine voisine. Alors qu'Arantxa doit bientôt se marier et laisser Ander s'occuper seul de leur mère, celui-ci se casse la jambe et doit rester plâtré pendant deux mois.

Pour l'assister dans ses tâches, la famille embauche José, un travailleur péruvien. Le nouveau venu bouleverse bientôt les relations familiales en même temps qu'il trouble de plus en plus Ander...
Outre la beauté un peu triste de l'affiche, deux phrases de Serge Kaganski dans Les inrocks de cette semaine m'incitent à recommander ce film qui ose l'amour homosexuel dans la paysannerie espagnole des années 90, sujet casse-gueule mais, apparemment, traité sans pathos. Voici ces deux phrases : "Découvrir un grand film d’un cinéaste inconnu reste un des grands kiffs de la vie de critique ou de spectateur attentif. C’est exactement ce qu’on a ressenti quand on a découvert Ander à Berlin l’an dernier, dans le grand bazar de premiers films que constituent les sélections parallèles de la Berlinale".
"Ander, c’est comme un scénario à la Fassbinder qui serait filmé par le regard calme et bienveillant d’Ozu. Oui, grand et beau film". Et de titrer "Ander, grand et beau !".
De son côté, en insistant sur le lent passage du temps à travers cette campagne basque engourdie (où on s'ennuierait ferme, si...), Gérard Lefort conclut ainsi, dans Libé, un article ni passionnel, ni indifférent : "Chronique paysanne souvent rude, Ander, premier long métrage signé par un jeune cinéaste, Roberto Castón, qui dirige depuis 2004 le festival gay, lesbien, bisexuel et transsexuel de Bilbao, nous rappelle que la bête humaine est un fauve provisoirement apprivoisé. Il dit aussi qu’on a toujours raison de se révolter."
Critikat jubile : "Malgré une trame scénaristique assez simple, Ander se révèle être magnétique" et les questions existentielles de Laurine Estrade n'entament pas son adhésion : "Avec son rythme alangui, on retiendra d’Ander ses moments de grâce, quand bien même le scénario impose une scène bestiale. Comment rendre compte d’ébats sexuels dans les toilettes hommes pendant un mariage ? C’est la durée juste et intense d’un plan séquence, et le jeu sobre et physique des acteurs qui font de cet événement charnel, l’élégant bouleversement amoureux de deux hommes en quête de délivrance".

La pivellina
film italo-autrichien de Tizza Covi, Rainer Frimmel (2009, 1h40)
distributeur : Zootrope Films
avec Patrizia Gerardi, Asia Crippa, Walter Saabel
Synopsis : Artistes de cirque, Patty et son mari Walter vivent dans un camping à la périphérie de Rome. Un soir d'hiver, Patty trouve dans un parc voisin une fillette de 2 ans abandonnée par sa mère. Contre l'avis de Walter, Patty décide de garder l'enfant chez elle.
La petite Asia découvre une nouvelle vie au milieu des saltimbanques, des roulottes et des animaux. Chaque jour qui passe renforce un peu plus la relation entre Patty et la fillette.
Mais un matin, Patty reçoit une lettre de la mère d'Asia...
"Une trame toute simple se déploie si délicatement qu'elle nous touche au cœur". Dans ce minable camping de banlieue, les cinéastes cherchent et trouvent des signes d'humanité. Jusqu'au bout - le film s'achève sur un moment sublime où tout reste possible -, ils s'obstinent à croire en nous, envers et contre tout" (Mathilde Blottière dans Télérama).

Et de Critikat, cet argument qui me tient à cœur : "Retenue à Cannes dans la sélection de la Quinzaine et primé dans de nombreux festival, La Pivellina, œuvre à micro-budget, prouve, si c’est encore nécessaire, que la qualité n’est pas toujours dépendante de la quantité d’argent mise en jeu."

MAIS BIEN ENTENDU, LE FILM DE LA SEMAINE, C'EST :

Fantastic Mr. Fox
film américain (US) d'animation de Wes Anderson (2007, 1h28)
inspiré de Roald Dahl
compositeur (chansons du film) : Jarvis Cocker
directeur de la photographie : Tristan Oliver
animateur : Mark Waring
avec George Clooney, Meryl Streep, Jason Schwartzman et Bill Murray (en VO)
distributeur : Twentieth Century Fox France
Synopsis : Trois fermiers doivent faire face à un renard très futé à la recherche de nourriture pour sa famille...
Libé s'exclame : "Il semble qu’il y ait une volonté quasiment exhaustive de Wes Anderson de mobiliser tous les imaginaires". Pour Les inrocks, à qui Wes Anderson avoue "J'avais envie de filmer de la fourrure",  F. Mr F. est "un conte délicat et stylé".

Il se fait tard ce mercredi pimenté de doliprane et de giclées d'eau de mer dans le nez et je n'insiste pas sur ce film très excitant dont toute la presse dit toutes les qualités de fantaisie, d'invention, de poésie et de nostalgie (toujours chez Anderson).

LES REPRISES

La vie est belle
(It's a Wonderful Life)
Chef-d'oeuvre américain (US) de Frank Capra (1947, 2h09)
musique : Dimitri Tiomkin
photographie : Joseph Walker
une production Liberty Films, RKO Radio Pictures Inc.
avec James Stewart, Donna Reed, Henry Travers, Lionel Barrymore, Ward Bond, Thomas Mitchell et Gloria Grahame
Synopsis : Le décès de son père oblige un homme à reprendre l'entreprise familiale de prêts à la construction, qui permet aux plus déshérités de se loger. Il entre en conflit avec l'homme le plus riche de la ville, qui tente de ruiner ses efforts. Au moment où il approche de la victoire, il égare les 8 000 dollars qu'il devait déposer en banque. Le soir de Noël, désespéré, il songe au suicide. C'est alors que le Ciel dépêche à ses côtés un ange de seconde classe, qui pour gagner ses ailes devra l'aider à sortir de cette mauvaise passe...
Ce film merveilleux dans tous les sens de ce terme, n'est, comme le note Télérama, "toujours pas pris pour ce qu’il est : un conte de fées… doublé d’un cauchemar". Si le bien l'emportera à la fin, Georges Bailey-James Stewart aura bien du mal à le faire triompher contre le représentant du capitalisme triomphant, Potter-Barrymore. L'aide d'un Ange, même pas très doué, ne sera pas de trop.
La vie est belle fait partie des trois chefs-d'œuvres "sociaux" associant le grand James Stewart et l'étonnant Franck Capra, les deux autres étant Mr Smith au Sénat et Vous ne l'emporterez pas avec vous. Mais attention, film social ne veut pas dire film socialiste. Ici, les valeurs sont celles de l'Amérique et de la Libre entreprise. Mais le merveilleux chez Capra nait de ce que la valeur de l'exemple fait naître une solidarité simple qui peut terrasser le mal. Mais je n'ai jamais réussi à considérer ce grand dadais idéaliste de James Stewart comme une cruche. A la fin du film, on a envie de dire : c'est beau un honnête homme, courageux et droit. Ça, c'est la magie du cinéma.
La vie est belle est visible à Paris, au Mac-Mahon et au Champo, ainsi qu'au Casino de Joeuf, en Moselle (tiens ?).

Le vent de la plaine
(The Unforgiven)
film américain (US) de John Huston (1960, )
compositeur : Dimitri Tiomkin
directeur de la photographie : Franz Planer (La rumeur, Diamants sur Canapés etc.)
producteur : James Hill
coproducteurs : Burt Lancaster et Harold Hecht
avecBurt Lancaster, Audrey Hepburn, Audie Murphy et Lilian Gish

Synopsis : Un jour le chef indien de la tribu voisine des Kiowas se rend au ranch de la famille Zachary, où Matilda vit avec ses trois fils et sa fille, et réclame, Rachel, qu'il dit être sa soeur.

Ce western très aéré, qui oppose les grands espaces de l'Ouest à l'atmosphère confinée, claustrophobique, du ranch isolé dans lequel une famille de fermiers résiste à une attaque indienne, est un film très rare, que je n'ai eu que trop peu d'occasions de voir. Rare, également, car le western n'est pas le genre optimal de John Huston. Rare enfin, car il n'est pas habituel de voir évoluer la fine et élégante Audrey Hepburn dans la poussière du désert. Le tournage a d'ailleurs été très éprouvant pour elle et probablement à l'origine d'une fausse-couche.

Reste un très beau western, très original et un des derniers grands classiques du genre, porté par l'humanisme de Burt Lancaster. Même si l'affiche de la réédition est très moche, ce qui est un tour de force quand on montre le couple Hepburn-Lancaster.

L'IMAGE DE LA SEMAINE

Très belle affiche, très beau regard, qui annoncent un film très attachant.

C'est fini pour cette semaine.

Bons films !