Karim Benzéma était le joueur de Ligue 1 le mieux payé en 2008, avec 4,8 millions d'euros. C'est davantage que la moyenne des grands patrons du CAC 40 et pourtant, l'ex attaquant de l'Olympique Lyonnais n'a pas eu à souffrir d'un scandale à la Proglio. Les explications du sociologue Fabien Ohl, professeur à l'université de Lausanne. La presse et l'opinion publique s'attaquent régulièrement aux salaires des grands patrons. Quasiment jamais à ceux des artistes ou des footballeurs. Les écarts de rémunération sont pourtant assez faibles. Comment expliquer cette différence de traitement ? L'opinion publique estime, à tort ou à raison, que les sportifs et les artistes méritent ces rémunérations, mais que, pour les grands patrons, elles sont illégitimes. Contrairement aux Etats-Unis où on valorise davantage l'image du self made man, ces derniers sont vus comme des gens qui sont issus d'un milieu fermé, qui doivent leur place uniquement à un réseau un peu obscur et pas vraiment à leurs capacités. Ce sentiment, d'ailleurs, n'est pas complètement injustifié. Les patrons français sortent tous plus ou moins des mêmes grandes écoles, s'entraident et se cooptent en permanence, comme le prouve l'endogamie dans les conseils d'administration du CAC 40. Il est également difficile de juger les compétences d'un dirigeants. Quelle est sa valeur ajoutée ? Est-il vraiment plus compétent qu'un autre ? Ces questions restent souvent sans réponse.
Pour un sportif ou un acteur, le talent serait plus facile à prouver ?
En quelque sorte. Mais surtout, l'opinion imagine que les sportifs et les acteurs ne doivent leur réussite qu'à eux mêmes, à leur talent, à leur entraînement. Mais ce n'est pas complètement vrai. Dans ces domaines aussi, il existe un certain déterminisme. La formation, la fédération, les réseaux et le milieu social influencent aussi les performances et la réussite. Les Français sont quand même injustes avec les patrons. Après tout, ils créent de la richesse et de l'emploi, non ?Bien sûr, mais le patron, particulièrement en ce moment, c'est surtout celui qui licencie. C'est le hiatus entre ces salaires pharamineux et les suppressions de poste qui produit un sentiment d'injustice. Et cela, même si ce sentiment n'a pas toujours lieu d'être, car le patron fait parfois tout ce qu'il peut pour sauver les emplois. Mais la presse s'y intéresse moins, et l'opinion y est moins sensible.
Les sportifs n'ont pas les mêmes responsabilités...
C'est vrai. Les responsabilités du patron sont énormes, comparées à celles d'un sportif ou d'un chanteur. Des milliers d'emplois dépendent de ses décisions, c'est une pression considérable. Mais la rémunération n'est pas toujours en adéquation avec cette pression. Un patron qui fait couler son entreprise et qui conserve quand même ses stocks options, ça paraît injuste. Et c'est normal. Dans le domaine du sport, le cinéma, la chanson, il est difficile d'imaginer que le salaire de l'artiste vienne réduire celui des techniciens ou du distributeur. Pendant longtemps, c'était même l'inverse, les maisons de production et les clubs de football ont gagné beaucoup d'argent sur le dos de leurs vedettes. En réalité, le débat sur les écarts de salaire chez les artistes ou les footballeurs a plus de sens en interne. Par exemple, un footballeur de Ligue 2 peut estimer que Thierry Henry ne vaut pas cinquante ou cent fois plus que lui.
Les Etats ont des projets d'encadrer les salaires des patrons. Mais ne disent rien sur celui des chanteurs ou des acteurs. C'est normal ?
Les Etats ne raisonnent pas forcément en terme de justice. Avant la crise, les Etats partaient du principe que le marché s'autorégulait et qu'ils n'avaient donc pas à intervenir. Mais la crise a changé la donne. Les gouvernements ont dû apporter des aides financières très importantes pour relancer les marchés et certaines industries. Ces volontés d'encadrer les rémunérations des patrons se justifient donc par le besoin de leur faire payer le coût de la crise, le coût des aides qui ont été apportées à leur entreprise, et ainsi montrer à l'opinion publique qu'ils sont aussi sanctionnés. Mais on pourrait aller plus loin et estimer qu'il est légitime de taxer davantage les revenus des sportifs qui bénéficient de formations et d'installations payées par l'Etat et surtout de ne pas leur accorder un statut fiscal particulier. Mais l'éternel problème avec les concurrences fiscales, c'est que plus on taxe, plus on risque la fuite des talents vers l'étranger.