>> Valhalla Rising (Le Guerrier silencieux), de Nicolas Winding Refn, sortie le 10 mars (9,5/10) :
Ai-je déjà vu le meilleur film de 2010 ?
C’est une question un peu idiote, réductrice (d'autant qu'avec Mother ou Bright Star, Valhalla Rising compte de sérieux concurrents en ce début d'année), mais je dois avouer que je me la suis posée après avoir pu contempler (c’est le mot juste)
la dernière oeuvre du petit génie danois Nicolas Winding Refn, l'auteur de la trilogie Pusher (un must absolu), et
plus récemment de Bronson. Et pourtant mes attentes étaient énormes. J’ai une photo de ce film en fond d’écran
depuis plusieurs mois, et je tanne tout le monde avec cette histoire de Viking (en est-il seulement un ?) borgne, invincible et taciturne, (être fantastique voire infernal ?) égaré
avec les premiers Vikings chrétiens dans les brumes métaphysiques d’une circumnavigation qui les conduit sur les terres sauvages du Nouveau Monde, à défaut de terre promise.
Aguirre, Le Nouveau Monde, Kenneth Anger, Le 13ème guerrier, L'Homme des hautes plaines, le mythe Zatoichi… au petit jeu des références ciné on pourrait passer des heures à énumérer les cadres ou les éléments qui semblent renvoyer vers un point connu de notre univers de connaissance cinéphilique. Le fait est que je n’ai pas trop envie de m’amuser à ça, pas plus en fait que d’asséner des théories interprétatives quant à ce qu'est fondamentalement ce personnage central, de disséquer sa relation avec l’enfant, le sens de son parcours, le trouble surnaturel dans lequel il évolue, ou de décortiquer l’utilisation de la violence, de la musique et des prolepses par le réal.
Valhalla Rising est une splendeur, un film fascinant, brutal, rare, porté par un Mads Mikkelsen alter-ego du réalisateur, et il faudra me croire sur parole, parce que je vais
la boucler cette fois-ci, tant la critique peut n'être parfois qu'un parasitage, une paraphrase néfaste.
Ci-dessous quelques photos et citations de Refn, qui, lui, a bien gagné le droit de l'ouvrir.
"Quand j'étais petit, il y a trois choses que j'adorais : la SF, les westerns spaghetti et les combats de sabre entre Samouraïs. Des genres qui ont pour personnage principal un héros aux
proportions mythiques... un guerrier silencieux et solitaire. One-Eye est de ceux-là..."
"Le premier jour du tournage j'étais déprimé : je ne savais rien des Vikings et ça ne m'intéressait plus du tout. Quelle idée de faire un film sur un borgne qui n'a ni passé ni futur ! Mais
j'ai décidé de faire confiance à mon instinct. Et dans ce sens, c'est devenu pour moi aussi un véritable voyage psychédélique vers l'inconnu."
"J'insiste pour tourner mes films dans l'odre chronologique. [Plus loin, à propos de Pusher : ] J'avais lu quelque part que Cassavetes tournait dans l'ordre
chronologique. Alors j'ai fait pareil. Je n'avais jusque-là tourné qu'en vidéo et le premier jour, le caméraman m'a dit : "On est au bout", j'ai répondu "Au bout de quoi ?". "De la pellicule,
tiens !"."
"A neuf ans une amie de ma mère m'a emmené voir Mean Streets qui a eu un impact très profond sur moi. La narration, la caméra qui tourne au ralenti autour d'Harvey Keitel...
j'ai senti l'adrénaline avec ces images, la musique. [...] J'ai le souvenir très précis d'Il était une fois dans l'Ouest et de sa musique. Mon beau-père avait le disque, avec sur la
couverture Henry Fonda qui met l'harmonica dans la bouche du "jeune" Charles Bronson. On m'a fait une copie sur cassette, je l'écoutais tout le temps. A quatorze ans , j'ai commencé à assister
aux doubles-programmes d'un cinéma de quartier [NWR a passé une large partie de sa jeunesse à NY], sur la 17ème rue, entre la 5ème et la 6ème avenue. C'est là que j'ai découvert
Massacre à la tronçonneuse. Et j'ai été scotché : pour la première fois, j'ai vu le cinéma comme une forme d'art. J'ai commencé à comprendre qu'au cinéma, ce qui compte, ce n'est pas ce que
vous voyez, mais ce que vous ne voyez pas. Vous croyez comprendre, mais derrière il se passe autre chose... Ce cinéma est ensuite devenu une salle d'art et d'essai qui, des années plus tard, a
diffusé la trilogie Pusher..."
"Il y a des années, j'avais entendu à la radio qu'une stèle viking avait été découverte au Canada. Après l'avoir étudiée, on s'était aperçu que c'était un avertissement : les Vikings avaient voulu signaler un danger. Depuis, j'ai toujours eu envie de faire un film à partir de ça. C'est ce que j'envisageais après la trilogie Pusher mais je n'arrivais pas à monter ce film de Vikings... et là Hollywood m'a appelé ! Génial, de l'argent ! J'avais remboursé mes dettes mais j'étais toujours fauché. J'ai eu droit à un billet en première classe pour Los Angeles... Mais rien n'a semblé aboutir [à l'époque il a déjà tourné Inside Job avec John Turturro, Hubert Selby Jr. au scénario et Brian Eno aux partitions, avant de donner ses deux suites à Pusher]. Un jour, Rupert Preston me dit qu'il a les droits de l'histoire du prisonnier anglais Bronson et me propose de l'adapter. Je ne voulais pas tourner un autre film sur un homme violent. Cependant, comme je n'étais pas sûr que le film américain fonctionne, j'avais besoin d'un projet de secours. J'ai donc lu le scénario. C'était totalement nul : un truc banal de flics et de gangsters, un plaidoyer pour libérer cet homme "injustement emprisonné". Il y avait juste une chose intéressante : la possibilité de faire un film à la Kenneth Anger. J'ai toujours voulu faire un film de Kenneth Anger. J'ai donc lu la biographie de Bronson. Ce type ne voulait pas s'échapper de prison, mais s'échapper dans la prison. Ça c'était intéressant ! Cette bio m'a ramené à ma jeunesse, quand je voulais être célèbre : tout s'explique par le narcissisme. J'ai dit à Preston de me laisser réécrire le scénario... et de virer tout le monde pour reconcevoir le film. Tom Hardy, un jeune acteur en vue, était attaché au projet. Je l'ai rencontré dans un bar à vin de Londres. C'est un alcoolique et je ne bois pas d'alcool. J'ai pensé que c'était un idiot total. Une des pires rencontres que j'ai jamais faites. Avec Preston, on a réuni un financement sous la barre du million de dollars. J'avais fini une première version du scénario que je réécrivais tous les soirs. J'ai ajouté les monologues, les scènes théâtrales. Pour chaque réécriture, on change de couleurs. Ce scénario a fait toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, et même deux fois ! On n'avait toujours personne pour le rôle-titre. J'ai pensé à Jason Statham en me disant que ça rendrait le film plus commercial, mais il ne pouvait pas. J'ai rencontré Guy Pearce mais ça n'a pas marché. A deux mois du tournage, le directeur de casting m'a proposé de rencontrer Tom Hardy une deuxième fois. Quand il a passé la porte, je me suis dit : "Ah, mon Dieu, c'est Charlie Bronson ! ". Et nous avons tourné le film en cinq semaines. Entretemps, Valhalla Rising était financé. Et pendant que je montais Bronson, je me suis mis à préparer le tournage. Mais le film a considérablement changé en cours de route. Car j'avais mis dans Bronson tout ce que je voulais dire dans Valhalla Rising ! Je ne savais donc plus ce que je voulais dire, juste ce que je ne voulais pas redire. J'étais complètement perdu et j'ai dû réinventer Valhalla Rising."
" Bronson avait été tourné avec le même moteur que Pusher : l'arrogance de se foutre du résultat. Hubert Selby Jr. m'a appris qu'on ne vit pas pour l'instant du résultat mais pour le chemin qui y parvient. En montant Bronson, j'ai compris que ce film ne parlait pas de lui mais de moi. Je voyais le cinéma comme un art de destruction et moi, comme celui qui donne le premier coup. Charlie Bronson détruit tout, car il y a quelque chose en lui qui doit s'exprimer. Il ne sait pas jouer la comédie, ne sait pas chanter... exactement comme moi. Il a beau se battre contre le système, le système continue de gagner. Il comprend qu'il ne peut plus se battre car il n'y aura jamais de vainqueur. [...] Cela correspond au moment où j'ai réalisé que le cinéma n'est pas toujours destructeur, qu'il peut aussi être un élément positif dans la vie. Mon nihilisme créatif et mon écroulement financier m'ont permis de comprendre que je pouvais faire autre chose. Charlie Bronson a suivi le même chemin. Ses poings ne sont plus ce qui le fait avancer. C'est à présent sa conception de l'art et de la violence qui va lui permettre de s'élever. Tout ceci a changé ma vie... et Valhalla Rising est devenu le premier tableau, le premier canevas de mon nouveau visage. Quand je me suis retrouvé sur les montagnes d'Ecosse, je ne voulais plus tourner un film de Vikings. Ce que je voulais désormais, c'était faire un film de science-fiction."
"Je pense que Valhalla Rising est mon film favori. Le prochain que je voudrais tourner est un western à Bangkok, pour combiner mon intérêt pour la cuisine asiatique et pour le western. Le concept du rapport Est-Ouest m'intéresse aussi beaucoup. Mais peut-être avant tournerai-je un gros film hollywoodien ? " Non, visiblement, ce sera plutôt la première option, puisque son prochain film (Only God Forgives) sera déroulera effectivement à Bangkok.
P.S. : les Vikings reviennent en force (notez, la subtilité ils la pratiquent avec parcimonie), la preuve avec le film que prépare Mel Gibson sur le sujet, starring Leo DiCaprio, lequel a annoncé que le tout était maintenant en phase de pré-production. Pour plus d'infos, il y a quelques semaines, Gibson livrait quelques grandes lignes du projet sur Collider (voir ici). C'est clair, il n'y aura pas de quartier.