Etonné, vraiment très étonné, Jocelyn Bouyssy. Joint sur son téléphone portable, hier après-midi, et invité à commenter la bonne nouvelle, le directeur général du groupe CGR s'exclame : « Ah ! bon ? Mais le Conseil municipal ne se réunit que lundi prochain... Je n'ai pas de confirmation. J'espère qu'on sera choisi, évidemment, et si c'était le cas, j'en serais ravi. »
C'est bien le cas, Monsieur Bouyssy. Le vieux cinéma Le Dragon va tomber dans l'escarcelle - déjà bien remplie - du groupe CGR. La commission municipale chargée d'examiner les dossiers des candidats à la reprise du Dragon a tranché hier soir. En faveur de CGR. Et, sauf coup de théâtre, on ne voit pas ce qui empêcherait le Conseil municipal d'entériner cette décision, lundi prochain.
Deux projets séduisants
Les élus examineront le dossier en séance ordinaire le 1er février, les paragraphes 8 et 9 de l'ordre du jour du Conseil stipulant : « Cinéma Dragon, cours des Dames. Acquisition des locaux et du fonds de commerce à la société SACP. Exploitation des locaux. Bail commercial et cession du fonds de commerce à la société CGR Cinémas ».
Pourquoi le choix s'est-il porté sur ce groupe qui, du coup, fait figure d'ogre à La Rochelle (outre le multiplexe des Minimes, CGR exploite l'Olympia en centre-ville) ? « Leur projet était le meilleur », dit Maxime Bono, qui a confirmé hier soir à « Sud Ouest » la décision finale, soulignant qu'il s'agissait, dans un dossier aussi complexe que celui de la reprise du Dragon, de répondre à « un projet culturel, avec des implications fortes en matière juridique ».
« Nous sommes conscients du fait que seul CGR aura des cinémas à La Rochelle, poursuit le maire. Mais nous prenons acte de leur volonté de poursuivre la programmation actuelle à l'Olympia ». Quant à la programmation du futur Dragon, elle devra respecter les clauses inscrites dans le cahier des charges et proposer un pourcentage de films d'auteurs, de films en VO, etc. « C'est une société d'ici, à Périgny, qui a toujours été extrêmement loyale avec nous », souligne encore Maxime Bono. Qui juge par ailleurs que les deux projets soumis au jury - où le maire n'était pas présent - étaient « séduisants ».
Car il ne restait que deux, et seulement deux, candidats possibles à la reprise du Dragon : Morgan Productions (société qui produit les Francofolies) et le groupe CGR. Le réseau de cinémas indépendants Utopia, dont le cofondateur Daniel Malacarnet, avait été auditionné le 17 décembre par la commission municipale, ayant été écarté il y a environ un mois.
Le réseau Utopia est très aimé des cinéphiles dans les villes où il est implanté, à la fois pour sa programmation et sa politique de bas tarifs. Culturellement parlant, le projet Utopia était tout à fait rochelo-compatible. En revanche, ce candidat présentait un inconvénient majeur, eu égard au cahier des charges : son peu d'enthousiasme pour accueillir le Festival de la fiction TV.
« Autant on se faisait un plaisir de programmer le Festival du film, autant on n'était pas emballé à l'idée d'hériter d'un truc qu'on ne maîtriserait pas », explique Daniel Malacarnet. Il n'est donc pas extrêmement déçu (il a eu le temps de digèrer la nouvelle) mais se dit « surpris » par le choix de CGR. « Ça m'aurait semblé plus logique, et plus original, que ce soient les Francos. C'est un peu dommage, les Rochelais vont payer le cinéma plus cher. »
Quelle politique tarifaire ?
Plus cher ? C'est aussi ce que craint Philippe Metais, président du Casel (Comité d'action sociale et de loisirs) de La Rochelle, qui a contacté « Sud Ouest », hier, pour vérifier si l'hypothèse CGR était confirmée. Les adhérents du Casel, ainsi que ceux des grands comités d'entreprise, paient actuellement leur place de cinéma 3,50 ? au Dragon, contre 5,20 ? à l'Olympia et au Méga CGR (le tarif normal étant à 8,70).
Jacky Sence, l'actuel propriétaire du Dragon, pratiquait, selon ses propres termes, une « politique tarifaire sociale ». Or, explique Philippe Metais, « nous n'avons jamais pu négocier davantage avec CGR. Et maintenant les gens vont être piègés par une offre unique ». Peut-être, peut-être pas. M. Bouyssy, qui devrait s'exprimer rapidement sur son projet de reprise du Dragon, évoquera sans doute cet aspect du dossier.
Quant à Gérard Pont, fondateur de Morgan Productions et patron des Francofolies, il est très beau joueur. « Je n'ai pas d'amertume. C'est déjà formidable que notre projet ait figuré sur la liste finale. CGR a été meilleur que nous. Je leur souhaite "Bonne chance" ! »
Auteur : c.poulin@sudouest.com
http://www.sudouest.com/charente-maritime/actualite/la-rochelle/article/850381/mil/5648862.html
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La reprise du Dragon par le groupe CGR suscite l'inquiétude des élus communistes, qui se sont abstenus, hier soir, lors du vote
La réserve communiste
En refusant de suivre un scénario écrit par le maire, les élus communistes du Conseil municipal ont montré, hier soir, qu'ils n'entendaient pas être relégués au rang de simples figurants. Comme tout scénariste qui n'aime pas qu'on retouche une virgule de son texte, autant dire que Maxime Bono n'a pas apprécié.
La reprise du cinéma Dragon par le groupe CGR, annoncée la semaine dernière dans nos colonnes - au grand dam de Dominique Morvant (UMP) qui aurait aimé « découvrir cette décision autrement que dans la presse » -, n'a donc pas fait l'unanimité. Certes, le groupe communiste n'a fait que s'abstenir, mais cette abstention n'en marquait pas moins son refus de voir un équipement culturel confié à un grand groupe privé.
« Un monopole »
« Permettez-nous d'émettre une réserve sur le choix qui est fait d'un monopole rochelais par la société CGR, malgré les efforts qui ont pu être faits sur la programmation du CGR Olympia, mais surtout au regard de la politique commerciale et mercantile appliquée au complexe Méga CGR : tarifs élevés, choix de la programmation, épicerie annexe », expliquait Marianne Bruller, craignant du même coup « un changement de concept de la culture, qui devient une marchandise ordinaire. »
La conseillère municipale PCF avouait même une préférence pour Utopia, dont la candidature n'a pas été retenue. « Ce candidat aurait eu ma préférence à moi aussi, mais il a refusé d'accueillir le Festival de la fiction TV, ce qui m'a un peu surpris et déçu. Quant au monopole dont vous parlez, je trouve que c'est faire injure au travail de l'équipe d'Édith Perin et de la Coursive. Car il y a aussi un cinéma à la Coursive, qui fait vivre la diversité », remarquait Maxime Bono.
« Soyez intransigeant »
Charles Kloboukoff exprima également son inquiétude face à un risque de monopole et demanda au premier magistrat d'être « intransigeant sur la programmation du Dragon », égratignant au passage les films projetés au cinéma des Minimes : « Il faut aller en centre-ville pour sortir de l'archétype des films anglo-saxons ». Même la socialiste Anne-Laure Jaumouillié pria le député-maire de veiller à ce que le groupe CGR respecte le cahier des charges. « Il sera respecté, foi de Bono ! », assura celui-ci.
Pierre Dermoncourt (UMP), lui, s'interrogea sur le montant des travaux que le nouvel exploitant devra effectuer. « Il est difficile de le chiffrer pour l'instant, ce sera à l'exploitant lui-même de l'annoncer », répondit Maxime Bono, pour qui l'estimation de 1,7 million d'euros livrée par Sylviane Dulioust, adjointe chargée de la culture, est quelque peu optimiste...
Les réactions, elles aussi peu optimistes, des conseillers, finirent par faire sortir le maire de ses gonds. « On sauve un cinéma de six salles en plein centre-ville et vous vous lamentez, eh ben nom de Dieu ! » La dernière réplique, lancée aux élus communistes après le vote, fut tout aussi cinglante : « Quel acte de foi ! Enfin, quand vous verrez la queue devant le cinéma, vous direz que c'est grâce à vous. »
Auteur : frédéric zabalza http://www.sudouest.com/charente-maritime/loisirs-culture/article/854483/mil/5662683.html