Deux cents ans de résilience
S'il y a un mot qui restera associé au nom d'Haïti à partir de cette date fatidique du 12 janvier 2010, c'est bien celui de résilience.
Ce concept de résilience a été adopté par beaucoup pour décrire la capacité de résistance et la volonté à rebondir du peuple haïtien après le séisme qui a détruit la capitale et grandement affecté plusieurs autres villes du pays. Des écrivains haïtiens de grande notoriété l'ont adopté sans doute tant pour sa résonance élégante que pour son caractère apparemment positif et admiratif devant le courage, le stoïcisme que les Haïtiens ont montré face à la catastrophe.
Une manière donc de saluer cette démonstration d'humanité, cette solidarité et cette capacité à résister au malheur...
Capacité de résister au malheur? Capacité de sur-vivre dans la pauvreté? Capacité à s'adapter à des conditions inacceptables de vie?
Cette résilience là m'a donné à réfléchir et à questionner la signification profonde et les conséquences de cette qualité quand elle s'applique aux individus et de manière collective, comme dans le cas d'Haïti, à tout un peuple.
Le peuple haïtien aurait dont la caractéristique d'être résiliant. Autrement dit, la résilience serait la marque de fabrique des Haïtiens...N'allons pas plus loin...Restons-en là.
Disons clairement pour éviter toute ambiguité inutile que tous ceux qui saluent l'attitude globale du peuple haïtien en ces jours plus que difficiles, ont mille fois raison. Il s'agit là, entre autres, de résilience magnifique. Et nous en sommes fiers.
Cependant, il faut aussi le dire la « résilience » ne suffit pas comme qualité pour qu'un peuple assure le développement continu, durable de son pays.
Pour aller très vite, disons que Saint-Domingue, la colonie la plus riche, est devenue en un peu plus de deux cents ans, le pays (Haïti) le plus pauvre de l'hémisphère occidental... En plus de deux cents ans d'indépendance, nous n'avons pas su édifier un Etat-Nation qui assure à son peuple une amélioration constante de ses conditions de vie. Dans notre histoire, il y a eu des avancées, certes, suivies de reculs...Mais le résultat est là.
Notre propos n'est pas de faire ici une analyse même en survol de cet échec qui est dû à des causes multiples à la fois exogènes et endogènes. C'est-à-dire notre mal développement, notre état de pauvreté et notre Etat défaillant sont les produits à la fois d'une adversité internationale et d'une mauvaise gouvernance à l'interne frappée le plus souvent des tares combinées de la corruption, de l'incompétence, de l'autoritarisme et de la division.
L'utilisation du concept de résilience est suspecte et à la limite dangereuse. La résilience est-elle inexorablement liée au malheur, à la misère? Est-elle une qualité des pays pauvres et de peuple dans la misère? Le peuple norvégien ou japonais est-il plus ou moins résiliant que le peuple d'Haïti?
Il nous faut débusquer l'idéologie qui se camoufle sous le mot à la mode de « résilience ».
Et le psychiatre Serge Tisseron n'hésite pas à écrire: « le concept né de la psychologie sociale américaine n'a aucune difficulté à y retourner. Le but n'est pas d'apporter à chacun de l'eau courante, des logements salubres, la démocratie et un travail digne mais...la résilience! » (Monde Diplomatique, Août 20003).
Ce que veut dire Serge Tisseron c'est que cette qualité de résister et de rebondir - selon son sens étymologique latin - peut finalement être détourné et servir à expliquer pourquoi nous acceptons stoïquement l'état de pauvreté absolue dans lequel vit la majorité des haïtiens.
Nous sommes « résilients » depuis plus de deux siècles. Nous le démontrons encore et de belle manière ces jours-ci faisant l'admiration des commentateurs du monde entier.
Pour rebondir, sortir de la pauvreté, moderniser et développer notre pays, nous devons impérieusement associer notre capacité de résilience avec d'autres grandes qualités d'intelligence.
Dans son livre « Survivre aux Crises », le penseur Jacques Attali en cite quelques principes:
• Le respect de soi
• Le plein usage du temps
• l'empathie
• la résilience
• la créativité
• Ubiquité
• Penser la révolution
De mon côté je pense que la question d'une nouvelle gouvernance de la République d'Haïti avec au poste de commande la compétence et la volonté de servir les citoyens en construisant un Etat débarrassé de la corruption et de l'esprit de coterie, devrait se trouver au centre de nos préoccupations pour la phase de re-construction dont tout le monde parle.
C.R.
Claude Roumain