Menaces sur le plus ancien musée de France

Par Y.


Camée - L'apothéose de Claude

Encore une bien triste nouvelle… J’en ai assez de donner des informations pas reluisantes qui concernent mon quotidien. La dernière est encore un coup porté à l’histoire, ma discipline bien-aimée, et à un lieu que je connais bien pour le fréquenter régulièrement. Ce matin, je reçois un courriel m’informant que le musée du Cabinet des médailles, à la Bibliothèque Nationale de France rue Richelieu, à Paris, serait menacé de fermeture pure et simple.

Le site de la rue Richelieu est l’ancien site de la Bibliothèque Nationale. On y trouve, outre le Cabinet des médailles, plusieurs départements consacrés aux manuscrits et aux plans conservés à la BNF. Le site Richelieu a entamé une rénovation depuis environ deux ans, mais le gros des travaux devrait commencer au début du mois d’avril. La réhabilitation du site devrait durer jusqu’en 2014, avec une réorganisation des magasins et des salles de lecture. Des salles de lecture provisoires devraient être aménagées pendant la durée des travaux.

Le site actuel dispose de plusieurs lieux d’exposition, les galeries Mazarine et Mansart, et la crypte. Il existe également le musée du Cabinet des médailles, peu visité mais d’une importance considérable pour l’histoire de France et de la muséologie en général.

Le Cabinet des médailles, appelé « Département des Monnaies, médailles et antiques », c’est :

  • 520 000 monnaies et médailles,
  • 35 000 objets non monétaires (camées, intailles, vases grecs, ivoires antiques ou médiévaux, bronzes, sculptures, inscriptions, de la France entière, et d’ailleurs …)
  • une documentation autour de ses collections (80 000 ouvrages de numismatique, sigillographie, glyptique, épigraphie, archéologie, histoire ancienne et médiévale, et histoire des collections et des collectionneurs).

Il s’agit là de l’un des plus importants médailler au monde. Ces collections ont été constituées dès le Moyen-âge par les rois et grands nobles de France réunis dans des cabinets de curiosité. Au XVIIe siècle, ces collections sont plutôt l’apanage de la petite noblesse de robe, et des professions libérales. Mais c’est surtout Louis XIV et ses ministres qui enrichissent les collections royales en médailles et curiosités, collections qui s’enrichiront jusqu’à la Révolution, malgré le dédain des successeurs du Roi-soleil pour ces objets. Nationalisé et protégé, le Cabinet des médailles s’installe en 1917 à son emplacement actuel, rue Richelieu.

Aréthuse

Plusieurs objets célèbres sont exposés au public dans un musée, l’accès y est gratuit et on peut y voir des merveilles, qui ne font que préfigurer les richesses innombrables des fonds. Ce musée est menacé de disparition pure et simple. On rangerait dans les réserves le gros des pièces exposées, à l’exception des pièces les plus renommées comme le grand camée de France ou le trône de Dagobert. Le Cabinet des médailles lui même sera réaménagé de fond en comble mais on conservera une salle de recherche.

Dès le XVIIe siècle, les collections royales étaient ouvertes au public. Aujourd’hui, on veut faire disparaître purement et simplement un musée gratuit et patrimonial de première importance, il s’agit ni plus ni moins de liquider le plus ancien « musée » de France pour des impératifs de rentabilité et de réhabilitation architecturale douteux. En effet, le coeur du "Richelieu" de réhabilitation n’est plus l’escalier d’honneur, qui donne directement accès au musée, mais l’immense salle ovale de lecture construite au  XIXe siècle, jusqu’à détruire l’escalier ! Les architectes ne peuvent cependant pas faire ce qu’ils veulent sur le site Richelieu, l’intégralité des bâtiments est classé, puisque le site Richelieu occupe d’anciens hôtels particuliers du XVIIe siècle réaménagés au fil du temps.

Le projet de réorganisation du département est lui-même est ambigu car il souhaite « mettre en valeur » les collections mais il ne conservera dans un « musée » que quelques pièces visibles de tous, et le reste sera mis en réserve. Curieuse idée d’un musée où tout serait caché au public !

En un temps où l’identité nationale est mise au coeur du débat politique, il est curieux que la rue de Valois et la direction de la Bibliothèque Nationale veuillent faire disparaître ce musée, certes peu fréquenté mais de grand prestige. Pourquoi remiser plus de 1500 pièces, et pas des moindres ? Ce musée retrace plus de 2000 ans d’histoire de ce coin d’Europe nommé au temps d’Auguste « Gallia ». Les antiquités n’ont pas le vent en poupe, sauf pour les ventes aux enchères. Le motif plus ou moins avoué serait-il la rentabilité ? Le Savoir n’a pas toujours été gratuit. La république des lettres s’échangeait par lettres des avoirs, gratuitement, pas un système de don et de contre-don. Les salons permettaient d’échanger sur des découvertes antiques, des objets, de réfléchir à leur usage, etc. Lorsque les musées des beaux arts ont été crées en France au début du XIXe siècle, le but était de réunir en un même lieu un échantillon d’ oeuvres d’art dans un but de démocratisation de l’accès à l’art. Les antiquités en faisaient partie.

L’art a de tout temps été l’objet de commandes, de placements, d’achats et de ventes opérés par de généreux mécènes. C’est toujours le cas aujourd’hui. Hélas, la démocratisation, elle, fait un pas en arrière. Le ministère de la culture semble faire de ses fleurons des « produits » consommables. Christine Albanel a fait de Versailles une sorte de salle des fêtes améliorée pour nantis. Les « mécènes » ont accouru pour la rénovation de la galerie des glaces. Ils ont maintenant leur nom bien en vue sur une des entrées de ladite galerie. Un jour, il se peut qu’un musée public, un bâtiment  ou une oeuvre d’art porte accolé à son nom celui d’un généreux donateur. Ca aurait de la gueule « château de Chambord – Bouygues »  ou bien encore « Les noces de Canaan -Bolloré » ! Les antiquités ne semblent pas faire partie du lot, quoique fort cotées lors des ventes aux enchères, elles ne suscitent pas l’engouement universel. Un Picasso vaut plus qu’un Aureus de Marc Aurèle ou qu’une monnaie de Crésus en électrum.

Pourtant, des premiers temps de l’humanisme jusqu’au milieu du XVIIIe siècle et le déblaiement de Pompei, les  acquisitions d’antiquités étaient aussi importantes artistiquement que l’achat d’une toile de Poussin, de Titien, ou de Rembrandt. Véritables livres de pierre, les antiquités donnaient et donnent toujours un témoignage sur un passé révolu, avec une fiabilité plus remarquable qu’un texte de Pausanias ou un récit d’Apulée. Car contrairement aux textes, qui ont pu subir les fautes des copistes, le patrimoine matériel antique, lui, n’est pas altérable, d’où son intérêt documentaire primordial. Supprimer ce musée, c’est aussi supprimer la présentation de l’âge de l’érudition, où l'on s’instruisait et l'on instruisait par pur plaisir. La science historique doit beaucoup aux érudits locaux qui firent beaucoup pour l’histoire de France. Ce musée est en quelque sorte leur témoignage, et leur héritage.

L’art ne se réduit pas aux collections du musée d’Orsay ou du Louvre, il est présent partout, il est protéiforme, et on peut trouver de la beauté dans des objets insoupçonnés. Avec les antiquités, l’artisanat rejoint souvent l’art : des objets du quotidien deviennent avec le temps des oeuvres d’art : la verrerie romaine, des coupes de libation, etc. Pourquoi  les mépriser et les cacher au public ? Exposons les, valorisons les, pédagogiquement, instruisons, renseignons.

Voilà pourquoi je pense que la défense du musée est capitale puisqu’il touche au passé national, et qu’il témoigne à travers les limbes du temps d’un passé lointain qu’on ne devrait pas oublier sous peine de le revivre…

J’ai trouvé des liens relatant l’information. Il serait de bon aloi de véhiculer les messages ci-dessous.

http://www.louvrepourtous.fr/Le-Cabinet-des-medailles-plus,425.html

http://www.latribunedelart.com/musees-en-danger-2-le-cabinet-des-medailles-de-la-bibliotheque-nationale-article002433.html

Nota : A l’heure où j’écris ces lignes, j’ai assisté en direct au changement de la présentation du site de la Bibliothèque Nationale ! : http://bnf.fr