Dans le cadre d’une affaire judiciaire particulièrement médiatisée en Grèce, l’avocat du plaignant, invité à un journal télévisé, a exprimé quelques remarques ironiques et critiques sur le rapport rendu par un procureur ainsi que sur le procureur lui-même. Ce dernier initia avec succès une action civile afin d’obtenir réparation pour le prétendu « caractère injurieux et diffamatoire » des propos de l’avocat, celui étant condamné au paiement de près de 12 000 euros de dommages-intérêts.
Saisie d’une requête alléguant d’une violation du droit à la liberté d’expression (Art. 10), la Cour européenne des droits de l’homme rappelle à titre préliminaire, et notamment, « qu’elle tient toujours compte de la mission particulière du pouvoir judiciaire dans la société ; en tant que garants de la justice, l’action des magistrats et des procureurs a besoin de la confiance des citoyens pour prospérer » (§ 27) et relève qu’en l’espèce « les expressions incriminées ciblaient un membre du pouvoir judiciaire, pouvant ainsi avoir des conséquences négatives tant sur son image professionnelle que sur la confiance du public dans le bon fonctionnement de la justice » (§ 30). Néanmoins, outre l’idée que « la liberté d’expression vaut aussi pour les avocats, qui ont le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice, mais dont la critique ne saurait franchir certaines limites » (§ 27), la Cour se livre ici à une très vive et acerbe critique du raisonnement des « juridictions internes [qui] n’ont pas procédé à l’appréciation des termes litigieux de manière compatible avec les exigences de l’article 10 de la Convention » (§ 31). En effet, selon les juges européens, « la cour d’appel d’Athènes [dans l’analyse des propos litigieux] a imprégné ses considérations d’un subjectivisme particulier, ayant potentiellement la conséquence d’attribuer au requérant des intentions qui n’étaient pas en vérité les siennes » (§ 31).
Par ailleurs, en ne faisant « aucune distinction entre “faits” et “jugements de valeur” », elle « a ôté au requérant la possibilité d’établir que lesdits termes ne se prêtaient pas à une démonstration de leur exactitude » (§ 32).
Enfin, elle « a disjoint complètement le ton critique des expressions litigieuses du contexte de l’affaire », très médiatique, et omis de tenir compte du fait que ces propos « ont été exprimés en direct lors d’un journal télévisé, à savoir un format d’émission conçu pour susciter un libre échange de points de vue [… et qui ne permettait pas] au requérant de les retirer sur le vif ou de les parfaire » (§ 33).
En conséquence, la Grèce est condamnée pour violation de l’article 10 mais, pour la Cour, ce seul constat « constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral éventuellement subi par le requérant » (§ 44 - v. contra l’opinion en partie dissidente des juges Spielmann et Malinverni).
Alfantakis c. Grèce (Cour EDH, 1e Sect. 11 février 2010, Req. no 49330/07)
Actualités droits-libertés du 11 février 2010 par Nicolas Hervieu