ROPO, ROBO : les enseignements de Brozengo

Publié le 15 février 2010 par Nicolasp

Partage d'expérience #1 : Entretien avec Jean-Michel Maurer - part 2

Voici la seconde partie de l'interview de Jean-Michel sur le Research Online Purchase Offline


Brozengo a fermé ses portes en juillet 2009.  Aux US, le Shop Local évolue toujours.  Etiez vous trop "tôt" sur le marché français ?
En préambule je tiens à rappeler que la fermeture de Brozengo est une décision managériale. Il nous restait de la trésorerie (assez pour tenir au moins 18 mois) mais nous avons estimé que le marché évoluerait peu et qu’il faudrait attendre 4 à 5 ans pour que, potentiellement, le développement s’accélère.
Plutôt que de tenter le coup et peut être déposer le bilan, nous avons donc préféré rendre les fonds restants aux actionnaires, finaliser proprement nos contrats prestataires ou partenaires et accompagner les collaborateurs pour rebondir.
Au-delà du marché, il y a plusieurs éléments qui expliquent notre décision d’arrêter l’aventure :

1- Le marché de la publicité et le marché du financement des entreprises

    Tout d’abord, la crise a eu des impacts sur les budgets communication de nos clients (moins de budget, nécessité de faire du ROI rapide et donc moins à même de tester un modèle de marketing innovant comme Brozengo).
    Ensuite, quasiment aucune société de notre taille n’a réussi à lever des fonds en 2009. Alors que nous avions fait une première levée de 500 000 euros bouclée en 2 mois début 2008 et qu’à l’époque plusieurs fonds s’intéressaient déjà à Brozengo, dès que la crise s’est fait sentir en France (fin 2008) la plupart des fonds d’investissement ont préféré attendre (et attendent encore d’ailleurs) avant de financer de nouvelles start-up.
    2- Le précurseur est souvent l’évangélisateur
    Il est vrai que nous nous sommes lancés quasiment parmi les premiers et/ou en tout cas nous avons su devenir très rapidement la référence du marché.
    Malheureusement, sur un marché nouveau, les précurseurs éduquent les clients, évangélisent le marché. Donc nous avons passé beaucoup de temps à évangéliser et il faudra attendre plusieurs années avant que cela ne porte ses fruits.
    3- La structure du marché
    En effet shoplocal qui reste le modèle ROPO par excellence a connu et connait toujours un développement rapide notamment grâce à son rachat par Gannett.
    Aux USA, il y a aussi récemment Milo.com qui vient de lever 4M$ ou encore Groupon, modèle un peu différent mais toujours on to off qui connait un succès croissant.
    Attention toutefois on ne peut répliquer si facilement un modèle américain en Europe.
    En effet la structure de marché est très différente, aux USA vous avez beaucoup de grandes enseignes de distribution et assez peu de petits commerçants. De plus, il existe des mall, des shopping-center souvent gigantesques ou sont regroupés les points de vente.
    En France c’est différent, vous avez énormément de petits commerces disséminés un peu partout en France et les grandes enseignes ne sont pas vraiment portées sur l’innovation en terme de marketing/communication.
    4- L’organisation des distributeurs
    Enfin une dernière problématique que l’on peut évoquer concerne l’organisation même des chaines de distribution.
    Certaines délèguent le pilotage de  la communication locale directement aux entités régionales ou aux points de vente eux-mêmes. D’autres vont tout centraliser au siège de la société.
    Quoi qu’il en soit, les organisations sont scindées en 2 : d’un côté le réseau de distribution physique et de l’autre le e-commerce (pour ceux qui ont un site ou qui ont compris les enjeux du eCommerce). Dans ces conditions, impossible de trouver le bon interlocuteur, il manque trop souvent un Directeur multi-canal (comme dans le secteur banque/assurance par exemple) capable de comprendre les enjeux et les interactions entre les différents canaux de vente. Ainsi on parle ici du online vers le offline mais l’inverse est vrai aussi. Combien de consommateurs vont à la FNAC pour s’informer puis ensuite acheter en ligne…. chez un concurrent ? Pourquoi la FNAC n’utilise-t-elle pas le passage en magasin pour donner des coupons à utiliser sur le site internet FNAC par exemple ? (mieux vaut diminuer sa marge que de perdre une vente…) Pourquoi Surcouf n’ajoute-t-il pas des mobiletag sur ses affiches publicitaires pour générer une offre personnalisée au consommateur intéressé, offre à utiliser online ou offline ? Pourquoi la consultation ou l’achat des offres sur un site internet ne donne pas droit systématiquement à des évènements exclusifs auxquels on peut assister … dans le magasin physique de l’enseigne ?

    Si cette aventure était à refaire, que ferais tu différemment ?
    Rien.
    Nous avons bien senti le marché, nous avons perpétuellement innové et nous avons tenu notre plan de développement (nous étions même en avance sur notre plan de développement puisque le lancement de la version mobile et du couponing n’étaient pas prévus dès la 1ère année).
    Il y avait chez Brozengo une véritable culture d’entreprise et nous avions une équipe de 10 personnes vraiment impliquée.
    Dès que nous avons manqué de visibilité sur l’évolution de notre marché et du marché du financement d’entreprise, en bon gestionnaire, nous avons optimisé le cash burn et tenter de trouver de nouvelles solutions (partenariats, rapprochements, etc).
    Donc a posteriori, aucun regret, si c’était à refaire nous ferions exactement la même chose.
    En tout cas, cela aura été une superbe expérience entrepreneuriale car Brozengo était un projet très ambitieux et très complexe à porter. Il suffit de voir le chemin parcouru, les actions réalisées en si peu de temps pour comprendre que même à 10 (et au début, à 2 seulement) ce fut un travail de titan.
    Encore une fois j’en profite pour remercier toutes les personnes qui ont participé directement ou indirectement à l’aventure Brozengo.
    C’est intéressant aussi de voir à quel point les « mouvements » de l’acteur de référence d’un marché ont des impacts sur l’ensemble du marché. Ainsi avoir décidé d’arrêter l’aventure et l’avoir communiqué sur le site, nous avons reçu de nombreux messages de soutien et de respect par rapport à cette décision (qui n’est pas facile à prendre lorsque vous vous êtes autant investi personnellement) ; Mais aussi des messages de plus de vingt chefs d’entreprise ou entrepreneurs en cours de création. Ces derniers évoluaient ou se préparaient à entrer sur le même marché que Brozengo et beaucoup d’entre eux voulaient en savoir plus si notre vision du marché et sur les raisons de cette fermeture.
    Du coup, certains ont changé de modèle, d’autres ont carrément abandonné leurs projets en cours se disant que si Brozengo, avec toute l’énergie et les moyens déployés avait préféré en rester là, il serait difficile à une jeune pousse naissante de réussir sur ce marché difficile.

    Dans tes activités professionnelles d'aujourd'hui la complétude du On et Off line pour une marque, un distributeur, un commerçant est elle toujours présente ?
    Il y a une complémentarité croissante des canaux, de tous les canaux : internet, magasins, téléphone, catalogue, mobile, panneaux d’affichage, borne interactive…
    C’est le cas au niveau de la communication (mais les agences et les marques intègrent de plus en plus des stratégies 360) mais aussi au niveau de la vente (mais le web étant principalement un marché du discount, beaucoup d’enseignes préfèrent perdre du business potentiel plutôt que d’afficher des marges plus faibles)
    Je pense que tout reste encore à faire.
    Je constate que nous sommes en 2010 et que :
    • Certaines grandes enseignes de la distribution n’ont pas ou lancent tout juste leur site eCommerce,
    • Nombre de sociétés traditionnelles (ancienne économie) n’ont pas encore compris que Internet est un marché / un secteur spécifique (ca n’est pas pour rien qu’on parle de nouvelle économie) avec ses codes, ses pratiques qui sont différentes du offline (un marketeur ne peut pas s’improviser e-marketer, une DSI habituées aux lourdes infrastructures et aux progiciels gestion ne peut pas développer et gérer des projets de sites Internet, une RH n’a pas la capacité à animer des collaborateurs via les réseaux sociaux aussi bien qu’un community manager, etc),
    • Les organisations d’entreprise n’ont pas encore fait leur mue digitale pour prendre en compte l’interaction avec les e-consommateurs, les réseaux sociaux, le web temps réel, etc

    Merci pour cette proposition d’intervention sur votre blog qui est une très bonne source de veille et d’information sur le sujet du web-to-shop.