LIARS ::: Une rencontre en poker menteur

Publié le 14 février 2010 par Gonzai

Liars, un groupe que j'ai toujours aimé détester. Me mettre en porte-à-faux face à l'embrasement massif des hipsters internationaux. Les Liars ? Du noisy rock sodomisé par des sonorités expérimentales mollassonnes. Ca te fait bander hein ? Pas moi.

Le dernier album, Sisterworld,, au casque dans un métro bondé, je me revois m'enflammer pour la sortie du troisième album, Drum's not dead et pleurer de honte en découvrant l'éponyme suivant. Je n'ai jamais rien compris à ce groupe. Jamais réellement aimé non plus Et la rencontre qui s'annonce à l'hôtel Arvor, près de la place Saint George, est synonyme de match retour. Mon objectif est fort simple. Tenter de déceler la vérité. Sont-ils des vrais musiciens un peu barrés, cultivés et esseulés dans une démarche véridique ? Ou sont-ils les Rocancourts de la hype, manchots fanas de fausses notes et suceurs de tendances, de NY à LA ? Les Julien Doré du paf, oules Raymond Domenech du foot? Bourrée de clichés, ma réponse déjà faite en tête, je découvre trois grands gaillards, la trentaine, stylés au poil entre pull V propret et chemise à carreaux (forcément). L'approche est fort agréable, je me persuade que tout ira bien. En tête à tête avec Angus Andrew le chanteur, Aaron Hemphill le guitariste et Julian Gross le batteur.

Vous êtes là pour présenter votre nouvel album, Sisterworld, qui sort en mars prochain, pouvez-vous m'en parler rapidement : les principaux changements, évolutions ou encore nouveautés insufflés ?

Angus : Beaucoup plus de boulot. Et pas mal d'évolution. Mais le principal changement est que pour la première fois, nous habitions tous dans la même ville (ndr : Los Angeles). Dans les précédents albums, j'étais à Berlin, Aaron à L.A. C'était compliqué de communiquer. Alors qu'ensemble, il était beaucoup plus simple pour nous de débattre, échanger nos idées sur la démo et bosser en toute simplicité. Tom Biller, notre producteur, a d'ailleurs contribué à ce boulot d'équipe.

Vous avez donc travaillé avec Tom Biller. Pourquoi ce choix, quand on sait que vous changez de producteu sur chaque album?

Aaron : Tout d'abord Tom Biller. La principale raison est le fait qu'il habite LA depuis longtemps et connait parfaitement cette ville. De plus, il a beaucoup de relations dans le milieu. Des gens capables de produire en sons toutes nos idées. Capable d'une création atypique qu'un producteur banal n'est pas capable de proposer. Ils nous a mis en relation avec plein de super musiciens, notamment pour les cuivres.

Angus : Et la raison pour laquelle on change est simple. Cela dépend juste de nos attentes sur un nouveau projet. Là, nous étions sûr que Tom Biller allait nous aider à Los Angeles. Et ceux qui ont travaillé sur le précédent album habitaient à Berlin ou New York, comme Sitek. Et l'environnement qui nous entoure fait le reste. La vie de tous les jours. Les journaux, chaque matin. Ce qui passe à la télé. Ce qui s'écrit dans les livres. Pas plus.

Ai-je tort de préférer les musiques plus calmes comme Proud Evolution ou Scissor aux trucs bourrins casse-oreilles comme The Overarchievers? D'ailleurs j'ai toujours préférés vos musiques plus douces. C'est normal, vous pensez, que mon petit corps de journaliste préfère la pop ?

Angus : Tu viens de dire «ton petit corps» ? J'adore ça !

Julian : C'est ok si tu es romantique, ne t'inquiètes surtout pas. Tu es normal.

Angus : Pour le prochain album, un titre sur les petits corps seraient une excellente idée non ? Et je suis sur que tu es un «lady-killer» avec ton petit style en plus. Tout comme Julian.

Julian : «Un petit corps et son cœur brisé »

Voilà ce que je vous propose alors pour votre prochain album. De la folk pour moi. C'est super trendy en plus.

Angus : Sérieux, je me couperais les veines et boirais mon propre sang avant même de faire de la folk. On serait déjà plus tenté par la dance, le dub ou l'acid jazz.

Aaron : Ou mieux : de la techno lounge ! (Rires)

Pour revenir plus précisément à Los Angeles, qu'a apporté la ville du vice à votre son ?

Angus : L.A. était clairement notre sujet central, notre principale source d'inspiration. Nous avons voulu parlé de la véritable vie là bas. Elle est vue de l'extérieur comme une ville magnifique, Hollywood et toutes ces conneries. Mais finalement nous sommes tombés dans une ville effrayante et très noire, entre criminels et SDF (frissons d'émotions). C'est cette vision sombre de la ville que nous voulions retranscrire, l'environnement pesant et sa face cachée.

D'ailleurs, que pensez vous de la nouvelle scène à L.A. (No Age, Abe Vigoda, etc)

Angus : C'est plutôt cool, très intéressant. Mais nous nous sentons un peu en retrait par rapport à ce mouvement. Nous avons découvert ce phénomène par l'intermédiaire des journalistes, pas de l'intérieur. Parce que clairement la bonne musique à L.A. a toujours existé. Etait, est et sera là après nous.

Moi je pensais que vous ne faisiez que suivre la mode. Elle était à New York, vous y étiez. Maintenant qu'elle dézone vers l'Ouest, on vous retrouve à LA...

Aaron : Comment peux-tu déterminer où sont les «hot spot» comme ça ?

Malaise certain. Je tente de virer de bord vers des pseudos influences du groupe. En étant certain qu'ils allaient répondre par la négative.

C'est là que ça se passe. Je me suis dit qu'il y aurait peut-être des connections, directes ou indirectes entre vous et tous ces groupes qui font du bruit à Los Angeles ?

Angus reprends les reines : Aaron est né à LA peut être cela explique cela. Mais non, pas vraiment. Nous voulons nous démarquer de ce mouvement. Y être associé comme un groupe de plus qui bouge à LA nous va très bien.

Vous êtes nés à New York ? Blanc. Angus : Non, Philippines. Boulette. J'enchaine.

Par contre, vous avez bien enregistré le dernier album à New York. Que pensez-vous de la scène locale, avec le recul?

Angus : C'est vraiment très chiant (rires intelligents). Mais nous n'avons jamais fait parti d'une quelconque «vague», quelle soit new-yorkaise ou californienne.

Aaron : Je crois que c'est plutôt un truc de journaliste de vouloir nous caser. Notre musique, nos voyages sont naturels. Ce n'est pas comme si l'on disait d'un coup «oh cool, LA est branché et NY emmerdante, let's go ». Encore une fois, notre démarche est plutôt instinctive.

C'est alors qu'Angus nous balance des faux noms de groupe, pour de fausses inspirations. Putain, tellement cool de faire ça. Inventer ses influences, tellement fun.


Voulez vous donner une dimension politique à votre musique ? Par rapport à ce que vous lisez dans les journaux, voyez à la télévision ?

Angus : Non pas vraiment. Si l'on va dans ce sens là, je dirais plus que notre musique a une vision sociale. Comme à Los Angeles. Notre dernier album en est un parfait exemple.

Aaron : Oui, les connexions ou les non-connexions entre les êtres vivants.

Parti intraduisible et délire de l'intello. Je passe la bande.

Je n'ai jamais eu la chance de vous voir en live. Ca donne quoi ? Vous faites des fausses notes et les gens applaudissent ? Ca doit être à la fois compliqué mais aussi plaisant d'avoir un public toujours bien fringué qui vient voir son groupe hype favori.

Angus : En effet, c'est très effrayant. C'est la prochaine étape de  notre projet et ce sera encore plus dur avec cet album. Mais en gros, c'est chaotique. Et oui, les gens applaudissent nos mauvaises notes... Parfois.

Aaron : Le peu de gens qui viennent... (Léger rictus) Je ne pense pas que les gens achètent leurs tickets pour voir un groupe hype. Ca n'existe pas ce genre de réaction. Ils viennent pour nous et leurs nombres varient beaucoup selon les albums. On a des retours souvent très étranges, voir effrayants au centre des USA. Par contre, souvent exceptionnels à Paris avec un public toujours cool.

Julian : Et que dire de Bora Bora ! Non en vrai, je dis ça juste parce que je rêve d'y aller mais, nous n'avons jamais fait de concert là-bas.

On a trouvé le comique et le chopeur de la bande, celui qui ferme sa gueule et balance des vannes un peu pourris de temps en temps, Julian. L'intello un peu chiant, Aaron. Et le musclor, «putain ses biceps sont énormes dans ce marcel déchiré» Angus.

D'ailleurs, on retrouve pas mal d'humour dans votre musique ?

Aaron : Oui, tout à fait. Nous ne sommes pas ce genre de gothiques très sombres qui égorgent des animaux ou d'émos perdus dans leurs propres vies.

Angus : Je crois que c'est un grand danseur parisien qui a dit ça : «C'est toujours très important d'être sérieux, mais jamais avec soi même.»

Wouah. Comment enchainer après ça ? Il est doué ce garçon. Et là, il me vient une idée.

OK les gars sincèrement, êtes-vous vraiment capable d'écouter vos albums jusqu'au bout ?

Angus : Sans vomir, tu veux dire ? (Rires)

Ouais, moi, j'ai beaucoup de mal.

Julian : Je pense déjà que c'est impossible de s'écouter objectivement. Voir de s'écouter tout court. Et de là en plus à juger ses enregistrements, en mode « Wouah, plutôt sympa ma voix là dessus »... Non, on ne fait pas ça.

Je sens progressivement l'énervement d'Aaron (l'intello) me picoter la cuisse comme une boule de shit brûlante sur un fute en daim. A peine ai-je le temps de regarder mes notes qu'il m'interpelle :

Aaron : Finalement pour toi, qu'est ce qu'une musique facilement écoutable. Sans vomir je veux dire ?

Je pensais à la pop music, des chansons mélodiques de songwriter. La bonne tradition de la folk music comme Sufjan Stevens par exemple.

Aaron : Tu es donc le genre de mec qui aime la folk ?

Moi : J'aime un tas de trucs. Je cherchais à trouver une opposition de style par rapport au vôtre (sic).

Aaron : Hm. C'est vrai que c'est une question très subjective.

On arrive bientôt en fin d'interview. Mon principal objectif aujourd'hui était de savoir si votre démarche musicale est véridique, ou si vous êtes juste un groupe fake de plus. Il y en a tellement en ce moment que je me permets d'être méfiant.

Angus : Ce que je peux te dire, c'est que ce ne sont que nos sentiments, à tous ici, qui sont à l'origine de notre musique. La violence, la haine, l'énervement de nos vies, de nos expériences.

Aaron : Et la commercialisation de la fake music se retrouve plus dans la pop justement, dans les musiques qui rendent les gens heureux. Qui font croire que la vie est belle et toutes ces conneries. Quand les gens souffrent, comment peux-t-on oser leur offrir du bonheur en barre ? Nous sommes contre l'autobiographie musicale évidemment, mais pour reconnaitre le monde dans lequel on vit, sans le truquer ni le falsifier.

Angus : Comment peux-tu écrire de la pop music lorsque tu vis dans une ville comme New York ou LA, des villes bourrées de problèmes. Quelle est la réalité d'aujourd'hui ? A Paris, la ville de l'amour. Vraiment? Allons poser la question aux banlieusards. Chaque ville a ses clichés minables et si éloignés de la vie des gens. Si je viens sur Paris, suis-je obligé d'écrire sur l'amour ? Ou parler des conflits religieux de la ville ? Elle est là notre principale démarche.

Pour conclure, j'aimerai savoir si je suis un mec assez cool pour vous interviewer? J'ai une énorme sensation d'infériorité par rapport à vous. Alors ?

Aaron : Je ne sais pas, tu as l'air plutôt stylé, honnêtement. Ouais, plutôt pas mal.

Julian : Mais demande plutôt à tes collègues, ce sont les journalistes qui décident de qui est cool et de ce qui ne l'est pas.

Angus : Mais non on ne l'est pas vraiment nous. D'ailleurs comment déterminer qui est cool? Quels sont les critères ?

Le nombre d'amis sur Myspace non? (Rire jovial de fin d'interview)

Julian : Je ne sais même pas comment y aller. Et d'ailleurs, la  plupart de nos milliers d'amis sur Myspace sont des filles avec qui j'ai terriblement du mal à coucher.

Mais arrêtez, vous êtes trop bien habillé pour dire que vous vous en foutez !

Aaron : J'ai le même pantalon depuis trois jours mec, sérieusement...

Menteur ? Sur ce point, sans nul doute. Mais mes clichés se sont évanouis dans la franchise, presque touchante, d'un groupe qui ne se laisse pas bouffer par une surmédiatisation désastreuse, mais use de l'ironie et du second degré à la pelle. Cette envie permanente de différenciation, ne jamais être comparé ou encore pire, embarqué, dans un mouvement musical contemporain démontre toute la détermination des Liars à toucher la postérité. D'apparence chiants et racoleurs, les trois bogosses  m'ont démontré qu'avec vivacité d'esprit, sincérité et une pointe d'intelligence bien amenée, le rock arty de galerie peut parfois avoir l'odeur d'une belle primevère d'été. En à peine trente minutes, réussir à me faire avaler tout ça cul sec, bravo les gars. Je m'incline.

Interview réalisée en compagnie de Matthieu Clervoy.

Liars // Sisterworld // Mute (Naïve)

http://www.myspace.com/liarsliarsliars