Jaune devant, marrant derrière

Publié le 14 février 2010 par Doespirito @Doespirito
Il y a des gens qui ont des drôles d'idées, qui les classent automatiquement à mes yeux dans la catégorie des blaireaux. Le pire, évidemment, c'est quand ils sont des palanquées à faire des choses qui ne me viendraient pas une seconde à l'idée. Et c'est là que je me rends compte que je ne suis pas comme tout le monde. On se dit toujours qu'on fait partie du commun des mortels. Et puis un jour, le commun des mortels en question met un gilet jaune sur le siège avant droit de son Opel Vectra. Et on se dit que plus rien ne sera comme avant, qu'on doit être un mouton noir, un zombie, un alien, un métèque, un ovni... Qu'il y a dû avoir une embrouille à la sortie des moules à produire du clone en série illimité. Ou qu'on m'a démoulé trop chaud, allez savoir.
Je sais, vous allez me dire, c'est pas nouveau, j'ai l'indignation tardive. Mais je m'en moque. Je tente juste d'y voir plus clair. J'essaie de comprendre. Donc, dans le cas qui nous occupe, le gilet jaune sur le siège de droite, c'est double action. Ça réfléchit et ça fait réfléchir. Accessoirement, ça peut sauver une vie. Mais ça, on s'en tape. C'est surtout un message en polyester qui se voit de loin. C'est un avertissement anti-embrouille au format XL. C'est au cas où les flics les arrêteraient pour vérifier qu'ils l'ont bien avec eux, la brassière à Lagerfeld. Ça évite aux pandores de trop penser, ce qui n'est jamais bon. Ils voient du jaune à gauche (évidemment, eux, ils le voit à l'envers...), et ça crée immédiatement un stimulus dans le cortex cérébelleux.
Ça veut dire «Pas la peine de perdre votre temps, je l'ai, mon gilet jaune. Vous fatiguez pas, il est là, vous le voyez ? C'est bon, vous voulez pas ma photo, ma femme et puis mille balles, en plus ? J'ai pas que ça à foutre. Je ne suis pas comme y en a des, si vous voyez ce que je veux, le prenez pas mal. Laissez-moi rouler peinard. J'écoute “Rire et chanson”. Deux sketchs entre deux tunnels de pubs. Alors venez pas me gonfler pendant que j'écoute Elie Sémoun. C'est pas le moment, je suis pas d'humeur. Je viens de bouffer mon casse-dalle entre Concorde et Châtelet, j'ai aucune envie de me taper vos salades. Dans cinq minutes, il y aura Bigard. Lui, il bourre Bercy, vous, vous allez me mettre en retard. Cherchez pas, c'est de l'humour trop sophistiqué... Et puis si je dois tout vous déballer, je vais rater Roumanoff en arrivant au périf'. Je ne me suis pas levé à 5 h du mat' pour finir au ballon. Je vais péter un boulon si vous me gâchez mon affaire. Vous n'avez pas de cœur ? Vous n'avez donc aucun respect pour les gens qui bossent, dans la police ? Ça vous suffit pas de coffrer à tout-va, en ce moment ? Il faudrait que j'aille où, pour écouter ça ? Pour être tranquille cinq minutes ? Dans un chiotte Decaux ? Au 5e sous-sol du Forum des Halles ? Merde, à la fin ! ».
Eh bien voilà, en mettant ce coquet vêtement sur le siège, on s'épargne des vaines explications. C'est du temps de gagné, ça n'a pas de prix. Mais tant qu'ils y sont, ils devraient aussi coller d'autres trucs. L'assurance, ça c'est fait. Mais le permis ? Qui vous dit que les gendarmes ne vont pas sentir de loin que vous ne l'avez pas sur vous ? Imaginez les Schmits en train de scruter le flot de circulation qui s'agglutine sur les quais. Et qui laissent passer 999 bagnoles et en arrêtent une seule, la vôtre. Juste au pif, au tarin de Maigret, celui ne trompe pas.
- Çui là, chef, il est pas net.  Il a une tête à ne pas avoir son permis.
- Vous êtes sûr de votre coup, brigadier ?
- Affirmatif, mon lieutenant. Il a une tête à dissimuler. C'est du mesquin, du faux-cul, et je m'y connais. C'est de la graine de terroriste, faites-moi confiance. Ça commence sans permis et ça se croit tout permis. Ça vole un œuf et après ça viole un bœuf.

Alors qu'avec le permis collé sur le pare-brise, paf ! Pris de court, les perdreaux. Mais même si la probabilité de se faire agrafer au jugé est infinitésimale, on n'arrive pas à les décourager, ces maniaques du gilet. Déjà, c'est un peu crétin de coller le gilet à la place du mort. C'est d'un cynique achevé. Le gars qui pose ses fesses sur ce siège doit les serrer à l'avance. Surtout si le conducteur en rajoute. «Vas-y Bruno, t'as le choix : tu prends le siège de droite ou la banquette arrière. La place du mort ou celle des deux grands brûlés. A ton idée, comme tu le sens, t'es libre. Mais tu mets bien ta ceinture et le gilet jaune. Parce que je ne veux pas que tu le caches en t'asseyant dessus. Sinon, ça sert à quoi que je le laisse ici du 1er janvier au 31 décembre ? La sécurité, tu t'assoies dessus aussi ? Non, moi, je ne veux pas d'emmerdes avec les poulets.»
«Et puis c'est assez seyant, tu ne me diras pas le contraire. Ça habille et ça laisse libre de ses mouvements. Et comme ça, en cas de coup dur, on pourra t'identifier facilement à la morgue. Toi qui est déjà tonique et malin, tu continueras à briller quand on ouvrira la porte du frigo, pour te rendre nos hommages posthumes.  On pourra pleurer sur ton gilet sans mouiller ton costard. Tu mourras brusquement, mais côté sécurité, ta veuve sera couverte. Les assurances ne viendront pas te déterrer pour récupérer tes dents en or. Elles continueront à payer les traites de ta Lexus et de ton écran plasma, t'inquiète. A pas peur, mon Bruno. Sans l'ombre d'un remords, sans contestation sordide. Ils paieront rubis sur l'ongle, les vautours, sans le moindre rapport d'expertise. Il est mort, mais il était en règle. Respect ! Chapeau bas ! Il s'était même mis le triangle de pré-signalisation autour du cou, en montant en voiture. Pour pas qu'on ait d'ennui avec vos collègues, monsieur le commissaire ! C'est vous dire le gars consciencieux. L'objet est intact, on le posera sur sa tombe. On la verra de loin, même la nuit. On renseignera à l'avance « La concession à Bruno ? C'est celle qui brille ! Vous pouvez pas vous tromper. »