Les lauriers ne sont jamais vraiment coupés ; quelque chose frémissait sur les bords de l’Aisne, remous émeraude et gris, enfin une musique, pas un chant de voix humaine, non plus qu’un gémissement naturel, branches qui grincent et s’entrechoquent aux cimes, non, un air comme une brise à hauteur d’homme et qu’enfant je reçus tout droit, grand chant blond des aurores et mauve du premier printemps, ce qui me parut alors très étrange et l’est resté. Cette aria montait de l’eau, courant rythmé ; chaque jour m’en rejoue le frisson faste presque à la demande alors que plus de deux cents saisons me séparent de son surgissement ; je n’en ai aucun mérite, je suis sans doute né comme ça, tympans heureusement sollicités par le silence – interdit de parler – et l’absence feinte des taiseux qui me dressèrent et qui la nuit m’entourent encore de leur vigilance hiératique. Je baigne dans un flot harmonisé à mon moment, non pas que la page s’emplisse aisément des murmures ironiques de l’ange à l’haleine de fée, mais si je retrouve ce chant – un appel dans l’isolement complet suffit – c’est qu’il a tout ce temps été apprivoisé, doucement entretenu par mon corps surexposé dont les tensions réclamaient un usage plus souple, ce que je fais désormais chaque jour, curieux instant où je m’isole pour m’ouvrir encore et encore à ce ton mélodieux que des basses rejoignent sans que je le veuille, sans que je leur demande rien.