L’hécatombe du 12 janvier a étalé dans la poussière des décombres la pauvreté et le dénuement d’un peuple laissé trop longtemps en marge des pays de la région.
Un peuple dont la créativité dans la survie et le souffle culturel profond n’a de cesse d’étonner le monde, en dépit de sa casquette tant « vanté » de pays le plus pauvre des Amériques. Une expression qui fait « jouir » une certaine presse qui confond trop souvent voyeurisme et journalisme.
Toute la question qui se pose à nous au lendemain du 12 janvier est comment extirper les « les racines historiques » de cette pauvreté endémique. La machine infernale qui fabrique l’exclusion, qui met en échec notre système éducatif et paralyse la production nationale n’a pas arrêté de fonctionner à plein régime deux siècles durant. Elle carbure avec l’absence flagrante de « projets » pour Haïti. Aucune classe sociale ou coalition d’élites n’a jamais jusqu’ici assumé et porté un projet de construction de la nation haïtienne. Aucune structure organisée n’a pu exécuter un mandat comme dirait l’économiste Philippe Rouzier « pour changer l’Histoire ». Les gouvernements successifs ont été les contractants plus ou moins réguliers de catégories sociales dominantes qui ont fait de la politique de l’Etat, une sorte de négoce interlope et criminel. Ce qui fait qu’à travers l’Histoire, compte non tenu de quelques gouvernements progressistes apparaissant comme des lucioles dans une épaisse obscurité, les régimes d’exclusion de la majorité ont fait écho à des parenthèses populistes tout aussi exclusivistes et démagogiques.
On entend souvent dire qu’il faut changer la classe politique, qu’il est nécessaire de
trouver de nouvelles élites politiques. C’est juste, tout renouvellement du
personnel politique peut aider à moderniser la gouvernance de ce pays. Mais si
cette nouvelle classe politique n’a pas de projets, si pire, elle ne s’appuie sur aucune base sociale, aucun relais
au sein des forces profondes de ce pays, « se lave men siye atè ». Or
pour utiliser une image, ce qui a toujours manqué à « l’entreprise
Haïti », ce n’est pas tant un exécutif mais un « conseil
d’administration » et une « assemblée d’actionnaires ». Sans
d’indispensables relais sociaux, le personnel politique roulera dans le vide et
finira par se coller comme de la limaille de fer à l’aimant des forces d’argent
qui ont toujours arbitré au détriment de l’ensemble de la nation le jeu
politique.
Les régimes honni de Pinochet et de Trujillo, au Chili et en république dominicaine, ont fini dans les poubelles de l’histoire, mais ont tout de même laissé un projet de nation ; parce que les classes dirigeantes de ces pays dans l’intérêt même de leurs affaires lucratives souhaitaient la modernisation de leurs pays. Dans un autre contexte, le pouvoir du syndicaliste Lula au Brésil repose sur une coalition de forces populaires pour plus d’équité sociale et un rêve de grandeur pour la nation sud-américaine.
En Haïti, nous avons expérimenté des régimes militaires d’opérette, ceux à
la posture technocratique, ou au libéralisme à bon marché, de populisme
anté-diluvien aux dictatures rétrogrades. Aucun d’eux n’a fait atterrir un début
de projet national parce que le peuple haïtien dans son ensemble est toujours
hors-jeu, quand il n’est pas instrumenté
pour finalement être abandonné aux pires déceptions. Et derrière ces décennies
d’échecs, il y a le jeu macabre des intérêts d’une certaine géopolitique
mondiale.
Ce qu’il faut à l’Haïti de l’après 12 janvier, c’est la mise sur le tapis de projets pour la construction du pays avec un renforcement des institutions sociales et politiques. C’est une mobilisation des différents acteurs qui ont pour l’heure, peine à se manifester.
Il est impérieux que le président Préval mette en place avec le support du Parlement un grand Conseil pour la reconstruction nationale avec un volet politique assez large et une composante technique regroupant nos meilleurs experts d’ici et de la diaspora avec le support de l’international. Sinon on passera un temps fou à se chamailler sur qui gère les milliards de la reconstruction, en oubliant la reconstruction elle-même.
La corruption endémique étant capable de plomber les meilleures intentions
et une aide massive mal gérée peut provoquer un tsunami social.
De même que je ne comprends pas la position de groupuscules qui tentent de faire un capital politique sur un « Himalaya de cadavres » . Je comprends encore moins celui du gouvernement qui hésite lourdement à faire appel à toutes les bonnes volontés de ce pays qui ne demandent qu’à participer à la construction de la maison commune.
Comment affronter seuls une catastrophe d’une telle magnitude…comment construire seuls ce nouveau pays dont le prix du sang a été si excessif ? Après un mois à travailler jour et nuit, les ministres du gouvernement sont aux bords de l’épuisement, et leurs visages apparaissent sur nos écrans déformés par le masque de la tragédie et la mémoire de l’abime. D’autant qu’il ne s’agira pas uniquement de remplacer le béton par du fiberglass. Il s’agira de nouveaux comportements à adopter vis-à-vis de notre environnement, de faire tomber les murs de l’indifférence, de ramasser les gravats du népotisme destructeur, de désencombrer les chemins de « l’unité historique de peuple » dont parlait le théoricien Marcel Gilbert.
Il s’agira enfin, pour citer un
jeune poète, Fabian Charles, de se secouer encore plus après la secousse.
Roody Edmé