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Tandis que l’humanité saigne sous les décombres de ce qui fut, nous vaquons…
La terre s’ébroue, et ce sont toujours plus miséreux qui reçoivent, sur l’échine, le poids de sa vengeance…
C’est forme d’injustice dont le premier regard, de colère pourrait incriminer Gaïa…
Grave erreur que celle-ci qui refuse de voir ce que hommes font aux autres, de même espèce.
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Innocemment, nous faisons comme si de rien n’était, nous parlons d’autre chose…
Nous ne voyons pas le doigt tendu et accusateur qui nous poursuit, depuis les débris d’Haïti jusqu’en nos tripes gavées…
Nous faisons comme si, nous passons à côté, détournons notre regard.
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D’un seul élan, mes pieds m’auraient déjà porté au secours des disparus.
Un doute m’envahit cependant, car je sens bien mon incompétence à porter l’aide attendue…
Mes mots ne seraient sans doute que boulets ajoutés au poids du béton sur des cadavres fumants…
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« Comme les autres », je me dis.« Comme les autres, tu trouves prétexte à te défiler, à demeurer là, devant les images torrides, lisant les messages de désespoir… Tu pourrais n’écouter que ton cœur, partir, prendre le premier vol de secours, prêter tes mains, ton esprit, ta voix… Non, tu trouves prétexte à rester là, bien au chaud, tandis qu’au loin, on crève… »
Ici aussi on crève, et puis, en de multiples points de la terre, on le fait aussi très bien. Il faut que la terre fasse le gros dos et en écrase une bonne quantité pour que s’affichent sur nos écrans l’horreur…
On ne voit rien hors l’exception d’un déchaînement de violence…
La question me taraude alors : « Que puis-je faire, ici et maintenant pour quelque chose bouge, change ? Ma bourse vide ne serait d’aucune aide, mes mains en nombre insuffisant, mes pensées bien trop alambiquées, mes écrits fondus dans une marée informes où se mêle tout et son contraire, mon insuffisante célébrité n’apporterait rien… Qu’ai-je, là, disponible sur le champ qui viendrait en aide aux plus miséreux d’entre nous, ouvrirait un peu l’esprit, les yeux et le cœur de tous ces possédants qui, s’ils lâchaient ne serait-ce que trois sous de leur escarcelle, n’en seraient pas plus pauvres, mais, ô combien, grandis ? »
Je reste avec ma question, me dandine sur mon siège. Mes doigts s’agitent, furieux et noircissent une page de plus, témoin de mon impuissance…
Je finirai aujourd’hui le beau livre de Dany Lafferrière[1], retourné au pays et dont on n’est sans nouvelles. Ce sera ma minuscule solidarité du jour…
Manosque, 14 janvier 2010
[1] Dany Laferrière, L’énigme du retour, éditions Grasset
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