Éditions du Patrimoine - Décembre 2009
Préface de Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture & de la Communication
A l'initiative d'Adrien Goetz et du Centre des Monuments Nationaux, les éditions du Patrimoine ont entrepris de faire prendre la route à 100 écrivains pour un tour de France des monuments.
Ainsi ai-je eu le plaisir d'aller revoir l'abbaye Saint-Sauveur de Charroux, dans la Vienne, classée parmi les plus grandes et les plus extraordinaires abbayes de la chrétienté médiévale.
Visite qui m'a donc inspiré la fantaisie qui suit...
Le coq, le crapaud et les cinq vierges
" D'où l’on sait que le coq a fait
l’œuf et que le crapaud l’a couvé, d’où l’on ignore ce que les cinq vierges en
ont fait mais d’où l’on sait qu’il en manque une.
*
Ce jour-là qu’à Charroux l’on
célébrait les ostensions sous un soleil de plomb, un coq et un crapaud
déambulaient à l’ombre des vieilles halles. Un jeune basilic, dont il se
raconte ici qu’il aurait été conçu hors les liens du bon sens par le batracien
et le gallinacé unis, folâtrait et farandolait dans leur sillage, tel un jeune
enfant ignorant de ses pouvoirs et désireux de communier à la liesse du vieux pays
charlois. Car de partout l’on venait, tous les sept ans, afin d’honorer le
Christ-Juge et de soigner, qui ses coliques, qui ses eczémas, qui ses vilaines
humeurs, de Genouillé à Saint-Romain, de La Chapelle-Bâton à Confolens, et de
plus loin encore, de la ville, de Poitiers, d’Angoulême, de Niort ou de
Limoges. Le coq et le crapaud tournaient le dos aux villageois avec
orgueilleuse ostentation, n’ayant de préoccupation que familiale et de soucis
domestiques, enfin laissant notre jeune basilic se lover contre les pierres
chaudes et mollir à son aise entre les herbes sensuelles.
Non loin de là, cinq vierges
devisaient sur un banc. L’on
devinait à leurs figures agitées colloque de la plus haute importance, et il
n’était pas jusques à leurs mains qui n’offraient à l’œil un peu attentif
spectacle des plus étranges. L’une d’entre elles tenait en effet un petit œuf,
pas plus gros qu’un calot de terre ou que le bel anneau du pasteur. Les
audacieux qui s’en approchèrent rapportent qu’il était immaculé, pour ainsi
dire transparent. De sorte que, la lumière le traversant, d’aucuns y virent
distinctement le squelette imparfait d’un petit ver auréolé d’une lueur très
simple et très blanche. Cette vierge-là contemplait l’œuf en souriant et le
faisait rouler d’une paume à l’autre comme si ses mains s’en trouvaient
enflammées. Quand d’un coup sec elle le brisa, extirpa le petit basilic de ses
bons doigts de paysanne, et le plaça sous les lèvres de ses sœurs afin qu’elles
y déposent à tour de rôle un baiser délicat. Il y avait de l’amour dans ce
geste, de la joliesse et de la gaieté. Quand un cri transperça le ciel, si
acéré qu’il en recouvrit le Confiteor dont
l’air était empli, et une clameur s’éleva qui ne semblait point venir d’aucune
source connue. Villageois et pèlerins, touristes et paroissiens, tous les
agenouillés du beau milieu de la petite place Saint-Pierre se levèrent comme un
seul homme. Le bon évêque venu de Limoges stoppa net son office et demeura coi,
avec ses bras tendus comme pour une offrande et ses mains tournées comme vers
le Très-Haut. à sa suite, les
fidèles invoquèrent Charlemagne et se groupèrent au pied de la tour qui porte
son illustre nom : tous montraient du doigt les cinq vierges folles, les
plus éberlués se signant à l’aide des petites croix qui leur pendaient au cou.
« Par Saint-Mathieu ! » soufflait-on de toute part en voyant ce
qu’on voyait. Un coq, un crapaud, un basilic et quatre fortes demoiselles
marchaient en file, tous regardant droit devant eux, et au pas de l’oie suivant
une rampante jeune fille à la chair d’écaille, sa haute figure auréolée d’une
lueur très simple et très blanche. "
Photos personnelles.