Mauvaises mères ?
Tout d’abord, il y a une tendance, relevée par le numéro de Télérama du 3 février 2010, à montrer des “mauvaises mères” dans le cinéma français, que le magazine appelle “les malfaisantes”, en citant les quatre cas suivants (et en les faisant brièvement analyser par un psychiatre) :
- Le refuge, de François Ozon
- Je suis heureux que ma mère soit vivante, de Claude et Nathan Miller
- Mères et filles, de Julie Lopes Curval
- Non ma fille, tu n’iras pas danser, de Christophe Honoré.
Ensuite, il y a moi qui n’ai vu que le dernier et qui l’ai beaucoup aimé (merci K.).
Puis il y a la sortie du livre Le conflit, la femme et la mère, d’Elisabeth Badinter.
À l’arrivée, ça donne une forte impression d’actualité. Tout ça n’est pas un hasard. Et regardez autour de vous (ou chez vous !), vous verrez, la question mérite d’être posée. Laquelle ? Patience, ça vient.
Dans une interview accordée au NouvelObs (article complet ici) au sujet de son livre, Elisabeth Badinter déclare : “Ce qui m’importe, c’est la liberté de choix des femmes, l’égalité des sexes, qui sont contrecarrées par ce modèle de la femme-mère parfaite dominant aujourd’hui”. Elle s’insurge ensuite contre le courant “naturaliste” qui impose aux femmes l’allaitement et les culpabilise donc si elles n’y ont pas recours. Elle ajoute “Si on considère que c’est dans l’allaitement, dans la fusion mère-enfant que se développe au mieux l’enfant, on justifie d’avance, d’une certaine manière l’éloignement des pères”. Elle enfonce le clou en déclarant : “la dernière étude de l’institut national démographique le montre : tout repose sur elle (la mère) à 80%.”
Cette dernière affirmation nous permet de faire un pont évident entre le film d’Honoré et la réalité ici décrite : Chiara Mastrioanni explique dans une rencontre passionnante à la Fnac (que vous pouvez voir ici, puis là - c’est en deux parties) qu’elle a été estomaquée de certaines réactions de femmes -jeunes- après la projection du film, qui trouvaient que l‘“abandon” final de ses enfants par son personnage était extrêmement choquant ; et elle faisait remarquer avec un bon sens salutaire qu’on ne pouvait parler d’abandon puisque les enfants étaient repris (probablement momentanément) par leur père. Est-ce qu’on abandonne ses enfants si on confie leur garde au père ? C’est doublement insultant : pour la mère, mais aussi pour les pères !
Bref. Le film de Christophe Honoré est une réussite car il pose de manière nuancée, drôle et onirique la question (ça y est ça vient) de savoir qu’est-ce que c’est qu’être une bonne mère aujourd’hui, sans négliger d’autres questions corollaires : trouver sa place dans sa famille, s’affranchir du joug parental ou sociétal, etc…
Le personnage de Lena en a irrité plus d’un. On la trouve hystérique, au mieux névrosée. Sans doute l’est-elle, mais elle n’est pas que cela. Elle est un personnage en quête d’un équilibre qu’elle ne trouve pas, parce que comme lui dit Simon (Louis Garrel, parfait -et toujours aussi séduisant malgré une garde-robe volontairement enlaidissante !-) elle n’a pas su choisir ce à quoi renoncer. Elle veut tout, et risque alors de tout perdre. On trouve le film parisien et intello ; amusant, je trouve. Le film est intelligent, ce n’est pas pareil qu’intello ! (Ou si ?) Et pas particulièrement parisien (le film se passe en grande partie en Bretagne et exploite largement ce fait, ce n’est pas un simple décor).
Sans doute Lena incarne-t-elle, entre autres, la mère tendance fusionnelle qui voudrait être parfaite qu’a décrite Elisabeth Badinter (ce que lui reproche sa soeur Frédérique dans l’extrait), mais justement, elle n’a pas renoncé à être autre chose, et se retrouve perdue devant tant d’exigences pour elle-même, exigences personnelles recouvertes en plus des exigences et injonctions des autres.
Mais elle est aussi celle qui se pose des questions essentielles, et la fin du film, plus ouverte qu’il n’y paraît, pourrait bien laisser penser qu’elle va trouver des réponses…