En France et en Europe, les régulateurs s'activent pour faire de la réforme des normes comptables une des priorités de l'année 2010.
Dans son discours d'ouverture du forum de Davos, Nicolas Sarkozy a jugé l'enjeu « crucial » et a insisté sur sa volonté de définir des normes communes à l'échelle mondiale. Au sein de l'Union Européenne, Michel Barnier, nouveau commissaire au marché intérieur, devrait pousser dans le sens du rapport de Larosière qui, en 2009, recommandait la révision des conditions d'application des modèles comptables.
Si le rôle de la disposition dite mark-to-market dans la crise financière a certainement été surestimé, la question de la valorisation des actifs dans les bilans bancaires demeure. Quelle norme comptable faut-il imposer pour estimer la valeur des actifs, notamment des moins liquides ?
La question ne se pose pas en ces termes, car les valeurs que l'on cherche à quantifier ne sont pas des données objectives. Dès lors, c'est le monopole étatique de fixation des normes comptables qui doit être questionné.
Depuis de nombreuses années, les régulateurs nationaux et internationaux tentent de donner corps au concept de fair value, pour déterminer la manière dont les actifs doivent être valorisés d'un point de vue comptable. Pour les actifs les plus liquides, le mark-to-market a été imposé. En d'autres termes, cela consiste, pour les entreprises, à inscrire dans leur comptabilité leurs actifs à leur valeur de marché. A première vue, il n'y a là rien d'anormal.
Mais dans le cas des banques, les effets de mark-to-market se conjuguent avec ceux d'autres dispositions, parmi lesquelles les ratios de Bâle II. Cette réglementation impose aux banques d'avoir des fonds propres réglementaires représentant au moins de 8% de leurs actifs totaux, ceci étant pondéré par les risques. Ainsi, en raison des dispositions mark-to-market et Bâle II, dès que le prix de marché de certains actifs baisse, les banques doivent augmenter leur capital ou vendre certains de leurs actifs, ce qui prolonge ou accentue la baisse de leurs cours. Ainsi, au lieu d'imputer un caractère pro-cyclique à la comptabilité mark-to-market, il serait donc plus juste de l'attribuer à la réglementation Bâle II.
Les normes mark-to-market sont-elles pour autant idéales ? Davantage que cette disposition précise, c'est le concept qui l'inspire - celui de fair value - qui mérite d'être remis en cause. En effet, le concept de fair value n'a pas de signification économique réelle. La valeur d'une entreprise tient à l'agencement de différentes activités et ressources d'une manière cohérente. La valeur d'une entreprise est donc, par nature, un concept subjectif qui ne peut faire l'objet d'une mesure objective. En termes simples : avec des ressources identiques, deux entreprises peuvent avoir des valeurs très différentes selon qu'elles savent bien ou mal les utiliser. Dans ce contexte, penser que la valeur d'une firme peut être réduite à la somme des prix de marché de ses actifs minorée des prix de marché de ses passifs, c'est nier sa réalité. C'est pourtant sur cette manière d'appréhender l'économie que repose le monopole de fixation des normes comptables dont bénéficient le FASB (Financial Accounting Standards Board) aux États-Unis et l'IASB (International Accounting Standards Board) au niveau international. En imposant un modèle unique, ces autorités donnent arbitrairement une dimension objective à des éléments subjectifs, avec les effets pervers que cela implique.
C'est pourquoi il convient de remettre en cause ces monopoles de fixation des règles comptables. Les entreprises devraient être libres de publier leurs comptes selon le modèle qui leur convient le mieux. Les modèles les plus demandés par les investisseurs et les gérants des entreprises – c'est-à-dire les modèles les plus efficaces – émergeront progressivement. Plus vraisemblablement, les grandes entreprises publieront leurs comptes selon différents modèles. La controverse actuelle entre la comptabilisation mark-to-market, valeur au temps présent, et la comptabilisation aux coûts historiques, valeur au temps passé, serait balayée. On peut également imaginer l'apparition de nouveaux modèles, par exemple une comptabilité des flux de trésorerie futurs. Avec ces trois modèles, les investisseurs, les gérants des entreprises et les décideurs publics auraient une image passée, présente et future de la valorisation de l'entreprise. Une telle présentation des comptes n'impliquerait pas de surcoûts fondamentaux pour les grandes entreprises qui, grâce aux outils informatiques actuels, elles utilisent déjà de multiples modèles de valorisation pour mesurer et gérer l'activité de leur entreprise.
Mais en plus de servir de moyen d'information à destination des investisseurs, la comptabilité remplit une deuxième fonction : elle définit les bases fiscales des entreprises, qui doivent être les mêmes pour toutes. Néanmoins, ceci n'est pas un obstacle à la suppression du monopole de fixation des normes comptables. En effet, l'État peut imposer un modèle comptable servant uniquement à la fiscalité, celui-ci coexistant avec d'autres modèles servant les investisseurs ou les gérants des entreprises.
Les normes comptables ne doivent pas ignorer la nature fondamentale de l'entreprise, à savoir un agencement de ressources dont la valeur est nécessairement subjective. C'est pourquoi il convient d'abandonner toute norme comptable monopolistique prétendant à l'objectivité. Au contraire, la coexistence de plusieurs modèles permettrait d'offrir davantage d'informations aux investisseurs et aux gérants des entreprises.
Vincent Poncet et Guillaume Vuillemey sont analystes associés à l'Institut Turgot. Cet article a été initialement publié dans l'AGEFI du 4 février 2009.