Transformation de l’entreprise française

Publié le 13 février 2010 par Christophefaurie

Après-guerre l’économie française est dominée par des conglomérats, des « champions nationaux », qui sont une extension de l’État. Peu capitalisés et fortement endettés, ils sont étroitement contrôlés par l’État, qui régule les flux financiers. Leurs activités rentables épongent les pertes d'unités qui leur ont été confiées pour éviter le chômage de leurs employés. Ils sont dirigés par les grands commis de l’État, dont le rôle est plus d’appliquer une politique économique, en se coordonnant entre eux, que de développer des entreprises qu’ils connaissent mal.

Ces conglomérats sous-capitalisés et sous-managés sont inadaptés au changement des règles du capitalisme des années 80. On passe d’un système réglementé, à un système déréglementé et global. La bourse remplace les banques comme moyen de financement, l’échange d’actions devient un véhicule d’acquisition, les investisseurs américains envahissent le monde…

Les conglomérats avaient deux moyens de devenir performants dans un monde dirigé par la valeur actionnaire :

  1. La solution allemande : rendre transparente la structure du conglomérat. Ce qui permet une protection des actionnaires et une allocation optimale des ressources.
  2. La solution française : disloquer les conglomérats en unités spécialisées ; en laissant périr les activités non rentables. Ce choix s’explique par nos caractéristiques nationales. En Allemagne, le personnel est autonome, polyvalent donc facilement adaptable au changement, et bien formé par une formation professionnelle nationale, l’entreprise est, d’une certaine façon, « cogérée ». La France obéit au modèle taylorien : des cols blancs définissent des règles qu’appliquent des cols bleus spécialisés et formés par l’entreprise selon ses besoins. En outre il y a de multiples conflits : les dirigeants et les actionnaires majoritaires n’ont pas intérêt à la transparence allemande : elle profiterait aux employés et aux actionnaires minoritaires. L’entrée en force des investisseurs étrangers, américains surtout (en 2001, plus de 41% du CAC40 appartenait à l’étranger), qui sont favorables à la spécialisation, a accéléré la mutation.

L’État français, qui, jusque-là, réglementait fermement les relations de travail (autorisations de licenciement...), s’est brutalement retiré. Ce qui a permis aux dirigeants de réformer leurs entreprises comme ils le désiraient, sans contrepoids. L’État semble aussi avoir fait une erreur : en essayant de constituer des noyaux durs, des participations croisées susceptibles de protéger les entreprises françaises de prise de contrôle extérieur, il les a affaiblies. Elles manquaient de capital, il l’a immobilisé dans des participations sans intérêt stratégique. Ce qui a facilité les prises de participation étrangères.

Commentaires

Une partie de la population française a fait les frais de cette transformation, mais était-elle parable ? Les faiblesses de l’édifice français sont structurelles : au fond, la France suit le modèle de l’Ancien régime, avec un État qui veut tout gérer, et qui est dépassé par la complexité de sa tâche, une élite superficielle, et une population peu qualifiée, du fait d’un système éducatif inadapté.

Compléments :

  • Ces idées viennent de GOYER, Michel, La transformation du gouvernement d’entreprise (in La France en mutation, 1980 – 2005, Presses de la fondation nationale des Sciences politiques, 2006).
  • La remis en cause du système de Bretton Woods a-t-il été le déclencheur de tous ces bouleversements ?
  • En fait, le gouvernement semble avoir tenté un changement qui aurait permis le sauvetage du modèle français, au moins dans son esprit : Le changement de l’économie française.