C'est pas bien grave, la Grèce de toute façon c'est qu'un tas de vieux cailloux...
Grands moments d'émotion donc en ce moment, enfin l'Union européenne construit son gouvernement économique et Van Rompuy prend du galon.
La gauche - le PS - ne dit rien, de peur de gâcher la grande fête européenne qui s'annonce.
Il faut donc chercher du côté de la gauche américaine pour découvrir toute la bêtise du plan de sauvetage de la Grèce, arrêté par l'Union européenne.
Par exemple le billet d'un économiste du New Deal 2.0, think tank dépendant du Franklin and Eleanor Roosevelt Institute (siège sur la très chic Lexington Avenue). New Deal 2.0 compte d'ailleurs Joseph Stiglitz parmi ses contributeurs.
Qu'écrit donc Marshall Auerback, spécialiste des marchés financiers ? Son billet est d'abord titré Greece signs its national suicide pact. Il compare le soulagement de la Grèce après le "plan de secours" européen à celui d'un passant qui voit s'éloigner le braqueur qui vient de lui soutirer son portefeuille un revolver à la main. Non pas que l'Union européenne ait volé de l'argent à la Grèce, mais bien qu'elle lui a imposé un plan de règlement absurde (the insanity of self-imposed constraints will be manifest to all soon enough).
De fait, pour Auerback, la Grèce vient de devenir une colonie franco-allemande, puisque ces deux pays ont tenu la plume du plan de règlement (au passage, on note qu'on peut parfaitement être nationaliste français et pro-européen : l'Europe comme moyen pour la France et l'Allemagne de mettre en coupe réglée 25 autres états).
L'auteur renvoie à un autre excellent billet, émanant d'un économiste australien qui a publié un ouvrage sur la politique économique européenne, le soin de mettre en pièces les règles imbéciles du pacte de stabilité, cadre de la politique budgétaire européenne (It is often said that the European economies are sclerotic, which is usually taken to mean that their labour markets are overly protected and their welfare systems are overly generous. However, the real European sclerosis is found in the inflexible macroeconomic policy regime that the Euro countries have chosen to contrive.) On notera au passage qu'il faut aller chercher aux Etats-Unis et en Australie des keynésiens censés et modérés qui osent écrire noir sur blanc tout le mal qu'il faut penser de la politique économique européenne. Les économistes européens sont sans doute paralysés à l'idée de paraître souverainistes.
Donc, il est demandé à la Grèce de réduire de 4% son déficit public en 2010. Auerback écrit tranquillement (je traduis pour l'occasion, c'est trop beau) : "c'est le genre de mesure qu'aucun pays souverain n'accepterait, mais la Grèce, comme le reste des pays membres de la zone euro, a délibérément choisi de s'asservir [enslave itself] à un paquet de règles sans aucun fondement théorique".
De fait, la Grèce n'ayant plus de politique budgétaire (sinon très fortement restrictive), ni de politique de change, ni de politique monétaire, va devoir comprimer ses salaires et écraser sa demande intérieure. Auerback : "c'est la recette pour un suicide national".
Conclusion fort intéressante de l'auteur : "le rejet arrogant de la part des technocrates européens de prendre en compte les inquiétudes de ceux qui se sentent menacés par l'engouement soudain pour une union politique et monétaire sans cesse plus étroite, sans aucun contrôle démocratique, ouvre la place à des politiciens populistes à la Jean-Marie le Pen, ainsi qu'à la montée des partis extrémistes dans toute l'Union européenne."
Voilà. Ce ne sont pas les Mélenchon qui préparent la voie à l'extrême-droite, ce sont les Jean-Claude Trichet, les Jean-Claude Juncker et toute la gauche qui va laisser la Grèce se faire étrangler sur l'autel de la construction européenne. Faut-il se réjouir à l'idée que grâce à l'Union européenne on pourra continuer longtemps à voir des ruines à Athènes ?
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Post scriptum : Cherchant une référence de personnalités modérées se réjouissant de l'avancée européenne obtenue au prix de mesures profondément injustes et régressives pour la Grèce, je tombe sur la première phrase de l'édito du Monde : "...l'Histoire dira peut-être que ce fut une bonne journée pour l'Europe." C'est le même journal modéré qui est fan de Marine le Pen mais qui glosera encore régulièrement sur le populisme de x ou y.