On met les petits plats dans les grands à radio France, N. Demorand tout miel dans la matinale joue l’écolier candide face à la figure tutélaire du féminisme français. Pour E. Badinter, la voie est libre pour exposer sa vision de la femme, de la modernité, du Bien. Derrière les doléances habituelles et justifiées du combat féministe, inégalité de traitement, flexibilité, elle profite du créneau pour distiller une vision très conservatrice de la société. Elle affirme à juste titre que les femmes sont les premières victimes de la crise. Mais bien qu’exact, ce constat est lacunaire. On ne peut parler de la crise sérieusement en abordant seulement ses conséquences. Car les causes sont bien trop encombrantes. Cette publicitaire est légataire d’un vieux monde qui refuse de rendre les armes. Celui de l’exploitation symbolique des femmes, de la consommation comme mode de vie, du gaspillage comme habitude.
Une invitée de marque
L’écologie, cet asservissement
Quand on parle d’écologie, E. Badinter conçoit, bouche pincée, qu’il « faille un peu changer ses habitudes« . Un peu. Que cela soit pour des raisons de survie, ou d’hygiène globale l’approche écologique devrait normalement s’imposer. Renoncer à l’économie du gaspillage, de l’accaparement et du bâfrement pour une minorité constituerait l’ébauche d’un progrès. Pas pour une publicitaire qui vend des livres parlant de femmes. Car elle a trouvé ses cibles. Les « naturalistes », ces immondes sauvages empêcheurs de gaspiller en rond. Points focaux de sa critique, l’allaitement, les couches lavables, la nourriture bio. C’est doctement qu’elle raillera C. Duflot, avec l’aide complice de N. Demorand sur la nourriture pour enfants, préférant les petits pots industriels aux « brocolis bios« . Si la vérité se niche dans les détails, ces derniers sont troublants. Car l’asservissement des femmes est aujourd’hui le fait des nouveaux naturalistes qui imposent des habitudes de consommation et un mode de vie plus continent. Argument ultime, « ils », entendre les écologistes, font passer la nature avant la femme. On pourrait s’étendre indéfiniment sur ce type d’allégation, mais elle met en relief une chose, pour E. Badinter la femme surpasse la nature, et elle n’en fait pas partie.
Une critique aveugle
Par contre, elle fait naturellement partie de l’univers publicitaire. Mythologie de la femme-objet, de la femme-produit pour écouler toutes sortes de colifichets. Publicis, par exemple, est l’origine d’une campagne mettant en scène une femme et ayant pour slogan « mon banquier me préfère à découvert« . Exemple ponctuel ? Évidemment pas. Le monde de la publicité fonctionne essentiellement sur le motif libidinal. Les références sexistes mettant en scène le désir avec des femmes utilisées comme objet de convoitise sont pléthores. Mais la ménagère revient aussi en force, J.M. Teyssier du BVP déclarait « voilà que la femme retrouve dans la publicité un rôle qu’elle maîtrise à merveille pour l’avoir pratiqué des siècles durant, celui du petit être, ravissant et fragile, futile et désarmé, qu’anoblissent pourtant les nobles responsabilités de la maternité et de l’éducation des enfants« . Le monde de la publicité en interne comme en externe est éminemment sexiste. Et dans ce métier, les faux culs sont légions, J. Séguéla sans complexe déclare « l’absence de femmes est liée – paradoxalement – à leur qualité de maturité, à leur recherche de stabilité, de sécurité« , mais la profession compte 65 % de femmes, le problème vient de la cooptation masculine et des stéréotypes véhiculés mettant en avant « de grands gosses attardés, joueurs et immatures ». Résultat : faible féminisation parmi la direction créative. D’ailleurs un cacique du métier, N. French déclara « s’il existe si peu de femmes directrices de création, c’est tout simplement parce qu’elles sont trop connes« . Il fut viré. Mais cela reste un angle mort de la profonde réflexion d’E. Badinter. Elle préfère vitupérer grâce aux bons soins d’une radio d’État sur le retour à la sauvagerie des langes.
La chaîne publique se lance dans un programme publicitaire au profit d’E. Badinter. Elle a pu y promouvoir son dernier ouvrage la journée durant. En rang d’oignons, les journalistes de la rédaction ont fait circuler les plats chauds. Questions gentillettes, temps de parole élargi et sans coupure. Seules les apostrophes d’auditeurs ont sorti ce beau monde d’une torpeur usante. Que vaut autant d’attention à une philosophe révolue ? Hormis ressasser les généralités féministes, elle s’est trouvé un créneau étroit, une niche économique pour y promouvoir ses thèses antiécologiques et conservatrices. Et aussi refiler son bouquin. Sous le vernis c’est un féminisme publicitaire de marché qui se cache. Mettant à son profit l’espace médiatique que son envergure lui permet pour que rien ne change dans l’ordre économique du monde. Sur France Inter, il est grand temps de consacrer une journée entière à V. Despentes.
Sources :
Marie Benilde – « On achève bien les cerveaux » ed. Raisons d’agir
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Vogelsong – 12 février 2010 – Paris