Alors qu'il arrivait à Tondina, il rencontra sa ngauwili, personne qui était considérée comme la sœur de son père en vertu des règles de parenté classificatoire et qui se trouvait être aussi la cousine croisée de sa propre mère; il eut avec elle des relations sexuelles, et comme elle le lui reprochait, il la tua. Par parenthèse, remarquons que cet épisode du mythe exprime le courroux de la tribu devant un acte charnel qui est une forme d'inceste.
Au cours de la poursuite, il se sentit gagné par une très grande fatigue. C'est alors qu'un vieil homme, qui chassait avec son chien, vint à passer par là et vit le grand kangourou; le prenant pour un animal ordinaire, il le captura avec l'aide du chien, le tua et le dépouilla. Wilkuda finit par rejoindre le vieillard; il lui dit que cette bête lui appartenait, ajoutant toutefois : « Vous pouvez le manger, mais remettez-moi la peau. »
En possession de la peau, Wilkuda s'en retourna vers l'est. En un endroit proche de Guduna (vallée Goodana), il s'arrêta, projetant de former là un lac avec cette peau; mais un petit oiseau, le Yuriilya, lui conseilla de n'en rien faire, car les gens avaient besoin d'aller et de venir dans ces parages. Il enroula alors la peau et descendit la Nulkuna (rivière Nilkinna). L'oiseau l'arrêta encore une fois dans son intention de créer un lac, en lui disant de ne pas déposer la peau le long du chemin qui suit la rivière Anna. Alors qu'il passait dans un endroit situé du côté est de cette A^allée, il laissa tomber la peau qui devint sur-le-champ le lac Eyre, tandis que lui-même se changeait en pierre ; en outre, deux rochers, que l'on peut également voir en ce site, sont, l'un, le sac dans lequel il transporta la peau, l'autre, son couteau, et, chose assez étrange, le kangourou lui aussi se trouve là, pétrifié. Autant que je sache, cette pierre n'est pas la résidence des esprits-kangourous. Il faut encore signaler qu'il y a à Maluna, lieu où commence l'action du mythe, un tas de pierres-kangourous. ». a.p elkin .les aborigènes australiens.gallimard.
Ce mythe arabana(lac Eyre) que relate Elkin indique et sanctionne une prohibition sexuelle, montre que les chiens sont appréciés pour la chasse, explique divers faits naturels tels que le lac Eyre, et, de surcroît, révèle qu'aux temps héroïques ,ou temps du reve (dreamtime)on faisait une distinction entre les animaux de type courant et ceux qui, comme le grand kangourou du mythe, possédaient une vertu particulière.
L'expression d'« être du Temps du Rêve » est donc déjà légèrement trompeuse en ceci qu'elle donne à penser qu'il s'agirait là d'êtres dotés d'une qualité ontologique différente de celle des hommes, des animaux ou des autres êtres qui peuplent ce monde ; ce que ces langues notent est plutôt une différence entre le Temps du Rêve et celui de maintenant. Nous continuons néanmoins à employer l'expression, car nous n'en avons pas trouvé de meilleure ; elle désigne simplement le lieu d'un problème, car ce sont des êtres non identifiables selon nos concepts religieux. Alaintestart Des dons et des dieux. anthropologie religieuse et sociologie comparativeErrance, Paris
L'interprétation dynamique de traces visuelles et la projection de savoirs spéculatifs dans l'espace sont la clef de la pensée aborigène. Ce système cognitif spatialisé repose sur une vision de l'univers qui pourrait être qualifiée de « connexionniste », car tout y est virtuellement connectable et interdépendant : toute connexion entre deux éléments a des effets sur d'autres éléments de ce réseau. Que ce soit les hommes et les femmes, le règne animal, végétal ou minéral, la terre, le souterrain ou le ciel, l’infiniment petit et l'infiniment grand, la vie actualisée et les rêves, tout interagit. Ces connexions sont mises en œuvre par les rites, les rêves, et par le lien spirituel et physique qui unit chaque humain à certains éléments de son environnement, lien qu'on a coutume en anthropologie de qualifier de « totémique"barbara glowczewski. reve en colere.terre humaine.plon.
Les Aborigènes australiens ,suivant la tradition des chasseurs cueilleurs, lisent la terre commenous lisons un livre, interprétant tous les traits du paysage comme les traces vivantes d'êtres fantastiques. Venus d'ailleurs, de la mer, du ciel ou des entrailles de la terre, ces héros nomades sillonnèrent le continent et le balisèrent d'empreintes de leurs corps ou de métamorphoses de leurs organes.
Dans la plupart des systèmes de croyance aborigènes le monde a été créé bien avant l'apparition des humains. On dit souvent qu'au commencement la terre était plate et vide. Les ancêtres émergèrent du sein de la terre et commencèrent à façonner le kangourou, l'émeu, l'opossum, la chenille ou la larve ; pour d’autres, ce furent les choses inanimées comme les arbres ou rochers ; pour d'autres encore, des compositions complexes comme feu de broussailles ou la ruche et le miel. Mais cette forme importait peu puisque ces êtres n'étaient pas soumis aux contraintes du quotidien. S'ils étaient rochers, ils pouvaient courir; arbres, ils pouvaient marcher; poissons, se déplacer sur la terre ferme ou plonger sous sa surface. Très souvent, un ancêtre se transformait d'animal en homme ou en forme inanimée; il pouvait nager comme un poisson ou sauter comme un kangourou, marcher comme une personne, chanter ou accomplir des rituels, puis devenir un rocher.
Chaque action des ancêtres eutdes répercussions sur la configuration du paysage.
Avant ces puissants exploits des « Temps de la création », Ayers Rock n'existait pas sous sa forme actuelle de monolithe mais, après la bataille des Serpents, après la-déroute des Rats marsupiaux du fait de l'infernal Kulpunya, après que le petit Lézard et les inofïensives Taupes eussent fini leur oeuvre, le grand Rock émergea du sol exactement tel qu'il est aujourd'hui.
Chaque précipice, chaque grotte, chaque faille, chaque marque sur le sommet ou les flancs du Rock commémorent les exploits et les aventures des créatures des temps très lointains. Les failles, les couches de rochers et les taches de la face sud sont les pistes que suivirent les belliqueux Serpents ; les précipices du nord, avec leurs innombrables grottes, étaient les lieux de campement des Rats marsupiaux et les innombrables trous du côté ouest sont l'oeuvre du petit Lézard et des inoffensives Taupes. CHP. MOUNTFORD hommes bruns et sables rouges. Mythes et rites des aborigènes d’Australie centrale. payot
La forme actuelle des animaux leur vientaussi des épisodes du Temps du Rêve ; ainsi, l'échidné, ressemblant à un hérisson, n'a acquis ses piquants qu'après avoir commis quelque faute grave, alors qu'il fut lardé de lances par ses compagnons indignés, chacune des lances du Temps du Rêve devenant un des piquants de l'animal. Si les hommes appartiennent à des clans différents, chacun associé à une espèce animale (le totémisme) c'est parce qu'il en était déjà ainsi au Temps du Rêve.
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Le monde des origines humaines est celui d'embryons partiellement aboutis qui ont le pouvoir d'engendrer différentes formes de vie.
Leur tâche achevée, les façonneurs du paysage se sont enfoncés dans le sol ou sont devenus des phénomènes célestes mais ils n'ont pas pour autant quitté la terre : ils sont dits éternellement présents dans les sites qu'ils ont marqués et nommés.Quand ils quittèrent la surface de la terre pour regagner le Temps du Rêve, ils laissèrent derrière eux des flux de pouvoir spirituel et des traces de leur passage qui, encore aujourd'hui, affectent la vie terrestre. Par ces « attracteurs d’énergie », ils agissent directement sur la fécondité des femmes, la fertilité de la nature ou même l'existence de phénomènes comme la pluie ou les vents. Ils sont aussi les garants même de la culture ; d'une part pour avoir instauré certaines règles sociales et pratiques rituelles, d'autre part car ils continuent de guider les hommes dans leur sommeil.ici « rêve » rejoint notre sens de monde onirique ;dans leur sommeil, hommes et femmes peuvent, assister aux événements ancestraux puis en témoigner, notamment en rêvant de nouveaux chants, peintures et danses qu'ils incorporent à leurs rituels.
Chaque « rêve » est éternellement présent dans les sites qu'il a traversés, sous forme de kuruwarri « dessin », « image », « marque ». Les principes ancestraux ont « marqué » le paysage en y laissant des empreintes : traînée de couleur dans la roche ou peintures rupestres, etc.), ou en métamorphosant leur corps (sang ou urine changés en points d'eau, organe pétrifié), ou encore en provoquant par leur disparition sous terre un accident topographique (trous, marais, bassins, collines, etc.). Mais ces empreintes ne sont pas seulement les évocations des « rêves », elles désignent aussi quelque chose de vivant, réservoir d’énergie cosmique et vitale. Hommes et femmes en sont tous les dépositaires dans leur corps au même titre que les sites et les choses qui portent le même nom, mais ces forces, pour être actives, nécessitent de la part de chaque groupe local des rituels. Ce sont ces rites, effectués séparément par les hommes et les femmes, qui favorisent la reproduction des hommes et des espèces animales et végétales qui leur sont associées, ainsi que celle des phénomènes naturels, telle la pluie, ou encore des caractéristiques culturelles, tels les objets manufacturés ou les statuts sociaux.
Les tjurunga engendrent les êtres du Temps du Rêve, ils engendreront d'autres tjurunga ; toute la capacité de multiplication de ce monde –provient doncde ces objets.
Le « rêve » existe doncindépendamment du temps linéaire de la vie quotidienne ou de la séquence temporelle des événements historiques. Il acquiert le sens de temps parce qu'il était là au commencement, mais aussi parce qu'il sous-tend le présent et détermine le futur; c'est un temps au sens où, à une époque, n'existait que le Temps du Rêve. Mais le Temps du Rêve n'a jamais cessé d'être et, du point de vue du présent, c'est autant une caractéristique de l'avenir que du passé. On pourrait parler d’éternité mais lemot « éternel » n’aurait pas ici le sens de durée illimitée mais dans un sens philosophique, il désigneraitla réalité immuable et toujours présente qui est à la base du Temps et qui s'exprime en lui. Ce n’est donc pas la simple métaphore d'un passé originaire, opposé à la réalité présente mais un moyen d'accéder à une mémoire inscrite dans la terre. La vie des hommes et la succession des générations subissent l'influence du passé ancestral. Il en va de même pour le cycle des saisons et les variations du paysage, eux aussi déterminés par la présence éternelle des ancêtres. La pensée aborigène s'intéresse aux continuités qui sous-tendent les processus dynamiques et produisent de nouvelles vies, ainsi qu'à la stabilité dans un monde où le changement est un fait avéré. C'est cette adaptation au changement et à ses processus qui lui a permis de conserver sa pertinence dans un monde en rapide évolution.
Les êtres humains sont eux même des récurrences de la présence des ancêtres sur terre.
Dans la pensée aborigène les relations sexuelles ne suffisent pas à créer une nouvelle génération d'hommes ni à donner une identité, même si le rôle de la sexualité n’est pas méconnu contrairement à ce que pensaient les premiers anthropologues. La conception requiert en outre l'intervention du spirituel, et ce sont les « esprits » de la conception qui donnent aux hommes leur identité spirituelle. il est dit que chaque individu incarne un kurruwalpa ou « esprit-enfant » , manifestation singulière des « forces vitales » d'un « rêve »particulier ; les ancêtres voyageursles ont « semés » sur leurs itinéraires et ils attendent le plus souvent, dans les eaux d'un puits ou d'un ruisseau, ou dans l'air d'un site sacré, en attendant de pénétrer dans le ventre des femmes qui passeraient par là, afin de naître ainsi sous forme humaine. Les représentations des esprits de la conception varient selon les régions mais, quelle que soit leur forme, on les croit partout capables de pénétrer une femme pour provoquer une conception.
« Lorsqu'un groupe désire avoir davantage d'enfants, les hommes, évitant soigneusement les corps métamorphosés des enfants contrefaits, se rendent aux pierres yulanya et, s'accompagnant d'un chant spécial, placent entre elles de petites branches vertes. Stimulés par les chants, les petits esprits quittent leur demeure en emportant le kuran d'une branche — mais non la branche même — et rendent visite au camp des aborigènes, à la recherche de mères souhaitables. Son choix fait, le yulanya guette l'instant où la femme n'est pas sur ses gardes, s'introduit dans le corps de celle-ci et commence à y vivre en tant qu'être humain ». CHP. MOUNTFORD hommes bruns et sables rouges .
On peut rétrospectivement identifier l'esprit qui a présidé à une conception. Une femme signale qu'elle est enceinte et sent le bébé remuer dans son ventre. Son mari et ses parents vont repenser aux événements passés qui ont pu déclencher la conception. La femme peut avoir nagé dans un point d'eau proche d'un site du Rêve ou avoir participé avec ferveur à une cérémonie. Le plus souvent, c'est un événement dangereux ou inhabituel que l'on retient. Le mari peut avoir tué un kangourou qui avait un foie particulièrement développé, ou sa femme peut avoir fait cuire un goanna(lézard) bien gras. L'homme aura pris sa pirogue et manqué de se faire renverser par une baleine, son chien se sera peut-être fait attraper par un crocodile. De tels faits indiquent la présence dans un lieu d’un ancêtre particulier - kangourou, goanna ou crocodile qu’il faut identifier à travers lessignes.
(A SUIVRE...)