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Média sociaux : les modèles politiques

Publié le 12 février 2010 par Christophe Benavent
Média sociaux : les modèles politiques
L'univers des médias sociaux est étonnant. Pas par sa technologie, peu par l'innovation, mais surtout par la naïveté et la contradiction de ses propositions. Célébrant la coopération, la gratuité, et cette démocratie limitée au moignon du tutoiement généralisé, il vénère cependant le profit et la gloire.

Mais la plus grande de ses naïvetés est de croire que la technique résout toutes les contradictions, qu'il suffira d'innover pour sauter les difficultés. Cependant on ne s'attardera pas sur la critique, il serait si simple de rappeler que le web 2.0 n'est pas une démocratisation de la parole, mais l'opportunité de faire du profit sur des contenus produits par les utilisateurs que l'on oublie de rémunérer.

Le fait que l'on veut souligner est qu'étonnamment l'utopie digitale oublie le projet politique et fait l'impasse des institutions. Rappelons à l'heure où Google se confronte à la Chine, que l'Icann est un organisme privé sous contrôle du gouvernement américain. Et le fait est que dans l'utopie digitale se mélangent des organisations dont le but est le profit, Google en est le plus bel exemple, et d'autres le bien commun, Wikipédia en est le surprenant héros.

Des organisations aux finalités très différentes se côtoient donc dans un même espace. Mais ce qu'elles produisent, et la manière de le faire, n'est pas de même nature. Que la technique soit la même ne signifie pas forcément que son usage est identique. Quand Wikipédia a progressivement introduit un système sophistiqué de contrôle de la qualité des informations, régulant la libre production du contenu par des règles et des processus, Google adapte la pertinence de ses algorithmes en fonction de la capacité à générer des revenus et naturellement les adaptent à chaque situation. Quand d'un côté le consensus est recherché pour établir la valeur d'une page, de l'autre cette valeur est de plus en plus contextualisée et individualisée, d'un internaute à l'autre, les résultats des recherches ne sont plus les mêmes.

Dans les deux cas ce qui importe n'est pas la technique, mais les règles et l'imaginaire qui font de la technique une institution. Des règles de consensus pour l'un, de contextualisation pour l'autre, un imaginaire encyclopédique et universel pour l'un, l'imaginaire d'une connaissance pratique pour l'autre. L'ironie de l'histoire est que c'est l'imaginaire universaliste qui encourage une forme d'action collective, et pour la maintenir introduit de la hiérarchie dans la structure sociale de sa communauté, tandis que l'imaginaire de la connaissance utile, qui reconnaitrait la singularité des sujets, les excluent justement de l'objet de leur intérêt. On reconnaît des figures classiques de la pensée politique, la technique n'a décidément rien changé.

Le social de Google est une agrégation de choix individuels, les recherches, et d'un tissu de relations, les liens. Le moteur les abstrait, et les réduisant à des nombres fragmente cette connaissance en fonction des besoins. Il s'affranchit de la délibération qui est au coeur de Wikipédia. Il se fait ainsi l'illusion d'une démocratie représentative extrême qui confie son destin à la procédure. Wikipédia serait ce modèle de démocratie participative qui rompt avec un principe d'égalité, seuls quelques-uns participent, mais contribue en substance à la formation d'un bien commun .

Qui est le champion de la démocratie ? (pour reprendre les mots même de Google !)

Il n'est pas besoin de répondre, mais juste de remarquer que cet univers vaste qu'on désigne par médias sociaux, qui produisent et diffusent informations et connaissances en s'appuyant sur la matérialisation et la mémorisation des échanges et des transactions obéissent moins à un déterminisme technologique, qu'à un caractère institutionnel et politique, que l'on rencontre dans ces communautés aux technologies plus réduites. C'est sans doute en revenant à l'analyse des modèles politiques de la vie sociale qu'on pourra le mieux comprendre la performance des médias. Contrairement à ce que l'on pense communément, ils n'inventent pas une société nouvelle, mais recyclent des modèles anciens.

Le changement majeur est leur taille, ils fédèrent désormais des populations plus grandes que les plus grands Etats à travers leurs frontières. Et s'ils n'ont pas le but de régir tous les aspects de la vie, ils sont déterminants quant à notre rapport à la connaissance qu'elle fusse triviale ou savante.


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