Artistes : Double retour gagnant pour le vétéran Andrzej Wajda (83 ans) après une dizaine d’années de purgatoire : une rétrospective à la Cinémathèque ; la sortie de son dernier film Tatarak, qui s’annonce comme une œuvre testamentaire, à l’image des Gens de Dublin pour Huston. Et auquel Positif consacre la une de son dernier numéro.
L’égal de Bunuel, Bergman et Antonioni, Wajda ? Pour certains, ce nom vous rappellera celui d’une Polonaise qui en prenait au petit déjeuner… Ou bien celui d’une marque automobile. Que nenni : même s’il est sorti des écrans-radar du paysage cinématographique ces dernières années, il ne faut pas oublier qu’il a longtemps été considéré comme l’égal des plus grands, Bunuel, Bergman ou Antonioni. Rarement diffusée, incomplètement éditée en DVD, sa filmographie est du coup restée dans l’ombre ces dernières années. La Cinémathèque nous donne l’occasion de la revoir – précipitez-vous ! Son œuvre est indissociable des soubresauts qu’a connus la Pologne dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le reflet d’un cinéaste lucide et critique envers la société qu’il décrit, profondément humaniste, et dont les fresques épiques n’ont rien à envier à celles de Michael Cimino ou David Lean. On peut distinguer 4 veines principales dans son œuvre :
La veine lyrique historique :
- Kanal (1957) : reconstitution de l’insurrection de Varsovie, vue du point de vue de résistants polonais qui arpentent les égoûts de la ville. Sombre, désespéré – une éblouissante fresque à la Goya.
- Cendre et Diamant (1958) : fresque expressionniste sur la lutte entre Polonais communistes et nationalistes au sortir de la 2e Guerre mondiale. Un classique traversé d’images-chocs.
- Cendres (1965) : fulgurante fresque napoléonienne sur l’enrôlement des Polonais au côté de Napoléon face aux troupes espagnoles et autrichiennes. Un opéra de folie et de mort.
- La Terre de la grande promesse (1974) : impressionnant tableau d’une ville en pleine mutation, Lodz, à travers le portrait de trois hommes aux destinées emblématiques, incarnés par Daniel Olbrychski, Andrzej Sewerin et Wojciech Pszoniak.
- Katyn (2007) : reconstitution de l’exécution d’officiers polonais longtemps attribué aux nazis, mais réalisée par l’Armée rouge de Staline en 1940.
La veine romantique :
- Le Bois de bouleaux (1970) : promenade en mineur avec l’amour et la mort, pour une œuvre bouleversante, tirée et adaptée du célèbre écrivain polonais Jaroslaw Iwaskiewicz.
- Les Demoiselles de Wilko (1979) : également adaptée d’une nouvelle de Jaroslaw Iwaskiewicz, une oeuvre déchirante aux accents proustiens sur le temps qui s’évanouit. Avec Daniel Olbrychski, Christine Pascal, et l’écrivain lui-même, dans le rôle prémonitoire d’un vieillard en fin de vie, qui décèdera peu de temps après le tournage.
La veine politique :
- L’Homme de marbre (1977) : enquête sur un ouvrier, héros historique, envoyé aux oubliettes de l’histoire officielle polonaise. Fascinante dénonciation de la falsification de 30 ans d’histoire polonaise, vue par les yeux d’une cinéaste-enquêtrice.
- L’Homme de fer (1981) : Palme d’or à Cannes, sorte de suite de Nota bene à L’homme de fer, tourné à chaud pendant la grève des chantiers navals de Gdansk et la naissance de Solidarnosc. L’œuvre d’un cinéaste citoyen.
La veine Gaumont-Toscan du Plantier :
- Danton (1982) : défilé de stars : Depardieu en Danton, Chéreau en Desmoulins, Planchon en Fouquier-Tinville… face à Wojciech Pszoniak en Robespierre. Une relecture de l’affrontement polonais d’alors Jaruzelski-Walesa à la lumière de la Révolution française. Un combat de catch, jusqu’à extinction de voix.
- Un amour en Allemagne (1983) : défilé de stars made in Gaumont : Hannah Schygulla, Daniel Olbrychski, Marie-Christine Barrault, pour une histoire d’amour entre une Allemande et un Polonais à la fin de Deuxième Guerre mondiale. Pas le plus réussi.
- Les Possédés (1988) : défilé de stars : Isabelle Huppert, Lambert Wilson, Bernard Blier, Omar Sharif. Bien que d’après Dostoievski, une vraie catastrophe. Le début du déclin de Wajda.
A la croisée de toutes ces veines, Le Chef d’orchestre (1980) – pour moi, son plus beau film, méditatif et politique, social et onirique, psychologique et allégorique.
Travis Bickle