Deux opéras et une exposition à Orsay pour survivre en période de suicides,de tueries à l’américaine, de médiocrité politique et télévisuelle...
Quand Puccini écrit d’après le roman de Murger, la Bohème, les bobos n’existent pas et comme le rappelle un commentateur éclairé du livret de l’Opéra si aimé des français, la bohème n’est pas un état enviable.
Peut-on éprouver un peu de brûlure en écoutant cette oeuvre aujourd’hui, être touché par son propos simple et triste ? Au risque de déplaire, oui. L’opéra vériste n’est pas que pesanteur ou ergotages sur pointes de ténors à la voix nasillarde. Stefano Secco que les amateurs n’auront pas oublié dans le Macbeth de Verdi monté par Tchernenkiov comprendront ce que je veux dire . C’est le chant de demain qui s’avance aussi avec le grave de Ludovic Tézier. C’est la grâce sans artifices de Tamar Iveri ,Mimi enfin émouvante. Les trois cris ultimes de Secco qui la serre dans ses bras et l’oeil est humide.Mimi..Mimi...Mimi... C’est bouclé. Du lacrymal de haut vol. Nathalie Dessay, bonne chanteuse mais actrice qui en fait toujours trop est convenable dans un second rôle même si c’est son premier ...puccinien. On en fait grand cas...bof !
Bref , la Bohème de Giacomo telle qu’elle se donne à l’Opéra jusqu’à fin novembre vaut le coup d’oeil humide. En alternance sur le même grand plateau, une reprise elle sans surprise.
"Dieu l’a puni et l’a livré aux mains d’une femme"
Il manque quelque chose , un je ne sais quoi ou un presque rien à ce Salomé de Strauss au si beau livret d’Oscar Wilde , dont le mérite essentiel est de nous faire entrer dans l’action in media res.
Seuls Thomas Moser (Herodes) etJulia Juon (Herodias), les Thénardiers de Palestine , donnent un peu de relief dans le paysage statique composé par Lev Dodin. C’est lent, c’est mou, c’est mou du genou. Camilla Nylund , finlandaise annoncée comme un vent chaud sur le rôle est à la hauteur de ce que requiert Strauss dans cette oeuvre programmatique : précision, clarté, sensualité...morbide de pré-ado. Fantomatique comme une reine de l’expressionnisme allemand, hiératique, mais hélas trop statique sauf lors de la danse(beaucoup de mou dans ces sept voiles en dépit de beaucoup de travail) ...sa voix glisse sur les complexités de la polyphonie de l’orchestre et de la musique kaleidoscopique du musicien allemand.
Dommage que cette perfection vocale ne suffise à remplir le rôle. "On ne savait pas si elle pleurait un Dieu ou mourait dans la caresse" disait de Salomé le grand Flaubert. La chorégraphie proposée ici est loin de le suggérer. Reste que le plus subversif de l'oeuvre, l'érotisme de la scène finale avec la tête coupée donne à l'oeuvre une modernité digne de Bataille.
Reste que Vincent le Texier est un Iokanaan au fort charisme .
Il a le charisme d’un prophète.
Heureusement , il y a Ensor.
L’exposition qui a lieu au Musée d’Orsay permet de suivre le parcours éclairé du coloriste de génie qui fit de la lumière sa matière première. L’exposition impressionnante permet surtout de mesurer à quel point la peinture du Bruxellois contient en germe toute la peinture. Celle du passé comme celle à venir(nous sommes au début du siècle précédent). Il y a déjà chez Ensor tout l’impressionnisme, le futurisme, le surréalisme mais aussi le moyen-âge, Seurat ou la Renaissance, les Siennois comme Rembrandt... On peut y voir aussi le célèbre et minuscule "Squelettes se disputant un hareng saur" peint en 1891 et que Pierre Jourde choisira plus tard pour illustrer son livre "La littérature sans estomac".