Mes songes m’attirent vers le futur et l’on pourrait, en empirant, en laissant le temps étirer son empire, suggérer que je fais là de bien pauvres songeries, grises ou noires, ma vie étant à ce point avancée que je peux presque toucher du plat de la main ce marbre qui sera l’image de mon corps épuisé. Il n’en est rien. Mes songes avancent au contraire vers le chant, enfance future, je veux dire lieu où ma personne entière – non pas seulement l’esprit – ma voix, ma démarche puisent au malheur de naître où je fus et cependant s’en viennent humer les senteurs du splendide que parfois pour faire bref j’appelle l’ange, ce cliché outrageusement pur que je promène au devant de moi pour poser syllabe après syllabe les notes du concerto fabuleux qui se déploie entre la terre et moi. Car je ne marche pas, je procède en douceur, toute fragilité bue, ma respiration s’ouvre à la neige dont la forte fadeur me porte en ce soleil de février où déjà s’éveillent secrètement les belles humeurs de mai. J’ai sous le pas la totalité des courses vraies, miroitantes et drôles, cet avant m’attire, et si je ne dirai jamais comme le poète que « L’aigle est au futur », je n’en entends pas moins des chants posés dans l’entre-deux qu’il me suffit de saisir pour qu’ils se fassent heureux et forment autant de fenêtres ouvrant sur ma nouvelle manière de voir le monde.