Le Suicidé

Il est assis, tranquille et raide, un clope collé à la commissure des lèvres, les doigts serrés sur une bouteille de gnôle.
C’est là et nulle part ailleurs qu’il a voulu mourir, à dix minutes de chez lui, dans cette friche percée par quelques cabanes de jardin.
Adossé au petit arbre rabougris et en sommeil hivernal, il brandit aux vivants ses interdits : le clope et la bouteille.

Quelques barbituriques, une bonne gnôle pour les avaler, il a ensuite attendu tranquillement que la bise hivernale fasse le reste.
Au diable les sermons : « Ne fume pas : Cancer du poumon! » « Ne boit pas : cirrhose du foie! »

Tout le monde le cherche dans la rivière, près des écluses. C’est là qu’ils finissent presque tous, les noyés, lorsque les branches basses d’amont veulent bien les libérer.

Sérieux et discipliné toute sa vie, il termine en blagueur : il a « roulé » tout le monde ; il surplombe la rivière ; il n’y a que son chagrin qu’il a noyé.
Il est paisible, les traits reposés, un sourire presque béat.

Au loin, étouffés, on entend les bruits de la ville. On le contemple de longues minutes, muets.
On l’envie presque.

[photo : Edouard Manet]

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