"Il existe des guerres justes. Mais le propre des guerres justes est de ne pas demeurer longtemps" écrivait le poète surréaliste égyptien Georges Henein.
Je n’aime pas trop me servir de citations prises hors contexte mais quand je pense au long métrage "Battle for Haditha" de Nick Broomfield sorti en 2007 et paru aux éditions MK2, c’est un peu le sentiment qui m’anime.
Le long métrage revient sur le massacre de civils irakiens perpétré le 19 novembre 2005 à Haditha par des marines américains suite à la mort de l’un des leurs tué par une bombe télécommandée posée par deux irakiens soutenus par un réseau djihadiste.
"Battle for Haditha" est un long métrage original dans sa forme et dans son propos. Un film qui ne s’embarrasse par de faux semblants et d’allégories mais qui nous plonge plutôt au cœur d’un drame, d’un véritable crime de guerre révoltant pour la morale et le sens commun.
Nick Broomfield donne à son œuvre la forme d’un documentaire. Nous suivons alternativement les marines, les poseurs de la bombe et les villageois de Haditha dans les heures qui ont précédé la détonation de l’engin explosif et le déchaînement de violence qui s’en est suivi.
Caméra à l’épaule nous partageons le quotidien d’hommes, de femmes et d’enfants au plus près. Le travail du cinéaste est méticuleux. La reconstitution n’en apparaît que plus fidèle.
Ses caméras filment les acteurs de cette inéluctable tragédie et donnent aux spectateurs toutes les pièces du puzzle.
Quand l’objectif est aussi froid et intransigeant, l’horreur des faits n’en est que plus évidente
Nick Broomfield n’éprouve pas le besoin de nous asséner des discours grandiloquents sur la nécessité de l’intervention américaine et de la coalition occidentale, ces 90 minutes se suffisent à elles-même pour nous prouver qu’un conflit aussi dévastateur que la guerre en Irak fait ressurgir chez l’homme (qu’il soit américain ou irakien, civil ou militaire) les instincts primaires les plus sombres.
"Battle for Haditha" est un film touchant. Le spectateur est ému par le destin dramatique de pauvres citadins meurtris dans leur chair. Des civils, qui payent souvent un prix très lourd de part le monde, pris pour cibles par des militaires américains aveuglés par la soif de vengeance.
Le metteur en scène dresse un portrait au vitriol de ces êtres, entraînés à des milliers de kilomètres de chez eux sur un terrain d’opérations très mal maîtrisé. Mais Nick Broomfield contourne avec succès un stéréotype récurrent : celui du marine surentraîné, sûr de son fait et de ses actes.
Il dote le Caporal Ramirez (Eliott Ruiz), pourtant principal protagoniste du massacre, d’une conscience salvatrice. L’homme représente l’archétype de toute une génération de jeunes femmes et d’hommes, très souvent issus de milieux populaires, jetée au beau milieu d’un cycle de mort sans fin.
Et à chaque nouvelle guerre l’Amérique paye immanquablement le prix du sang.
De même la figure des poseurs de bombe est étonnante. Nous sommes aux antipodes de l’effigie du terroriste endoctriné et dévoué aveuglément à la cause. Le plus vieux des deux hommes est un ancien militaire de l’armée de Saddam Hussein, un bon père de famille, qui aime boire de l’alcool de temps en temps.
Son seul souhait est de voir partir les américains de son sol afin que renaisse la grande Irak. L’homme est anéanti par le déchaînement de violence américaine, et pensait de prime abord que les soldats "se contenteraient de tirer en l’air après l’explosion de la bombe".
Du côté des villageois la figure de Hiba (Yasmina Hanani) émerge indiscutablement. La jeune femme enceinte de trois mois symbolise la figure d’un peuple martyrisé par trois décennies de dictature et d'un état "souverain"qui subit une guerre civile sur son sol depuis sa "libération".
"Battle for Haditha" n’est pas un film de guerre mais un œuvre sur la guerre. Il n’y a pas de champs de bataille. Le "théâtre" des opérations se résume à de simples maisons qui deviennent des tombeaux pour leurs habitants.
Les scènes d’action sont relativement courtes mais extrêmement prenantes. La réaction des militaires américains est disproportionnée, choquante. Les hommes de la Compagnie Kilo sillonnent un périmètre relativement restreint et nettoient la zone méticuleusement.
Effrayant.
Le film montre aussi la rouerie de l’armée américaine qui décore le Caporal Ramirez pour son action "héroïque" et qui ment au passage sur la mort des civils irakiens tués soi-disant par l’engin explosif.
Les poseurs de bombe avaient filmé l'éclatement de cet IED (Improved Explosive Devices) et les représailles américaines. La révélation de ces images au monde entier a permis à une partie de la vérité de tracer sa route et de faire éclater la chape de plomb et de silence.
Nick Bloomfield est exhaustif et juste dans son propos. Il n’oublie pas non plus de mettre en relief la douleur et le chagrin de ces soldats frappés durement dans leur chair et marqués par la perte de leurs camarades.
Mais le propos de "Battle for Haditha" est qu’un fait de guerre, aussi tragique qu’il soit, n’excuse pas un acte aussi grave, d’une portée aussi phénoménale.
Le long métrage s’achève sur la mise en cause de 5 soldats pour les crimes perpétrés à Haditha. Mais vous pourriez me demander : quid des décideurs politiques ?
Il est certain que des tribunaux ne jugeront jamais les donneurs d’ordres quels qu’ils soient, l’Histoire peut être, le 7ème art sûrement.
"Battle for Haditha" est à voir indiscutablement.
Merci à