En dépit de ce que peuvent clamer les lobbies anti-chinois à Bruxelles, New Delhi et Washington, le succès de la Chine est dû au commerce multilatéral avec le reste du monde. Et lorsque le président Obama ou les législateurs américains se plaignent de la Chine, ils oublient que les exportations chinoises contiennent des exportations… américaines.
A partir des libéralisations du commerce et de l’investissement après la deuxième guerre mondiale, les barrières sont tombées et les revenus ont augmenté autour de la planète. L’ouverture de la Chine à l’occident en 1978, la chute du mur de Berlin en 1989 et de l’Union soviétique deux ans plus tard, l’effondrement du communisme comme modèle pour les pays en développement, l’explosion des transports par containeurs, la technologie GPS, l’approvisionnement en flux tendus, et toutes les autres révolutions de l’information, des transports et de la communication, ont généré une division mondiale du travail et de la production qui défie l’analyse traditionnelle. Ainsi la comptabilité en termes de flux commerciaux peut s’avérer trompeuse.
L’économie de la mondialisation n’a plus à voir avec une concurrence entre « eux et nous », entre « nos » producteurs et les « leurs ». Au contraire, du fait de l’investissement transfrontalier, de la production transnationale et des chaînes logistiques, l’usine a fait tomber ses murs et s’étend au-delà des frontières et des océans. La concurrence se joue souvent entre des marques ou des chaînes logistiques qui défient toute identité nationale.
Quel rapport avec le fait que la Chine soit devenue le premier exportateur mondial ?
La grande majorité des exportations chinoises dépendent énormément d’importations du reste du monde : du fer de l’Australie, de circuits intégrés de Taïwan, de Corée du Sud ou de Singapour, de logiciels conçus par des équipes de Redmond aux USA ou Bangalore en Inde, de design d’équipes de Cambridge (USA ou Angleterre !) ou de Toulouse en France, d’investissements levés par des consortiums basés à New York, Sao Paulo ou Johannesburg.
La Chine est devenue le premier exportateur mondial d’abord du fait de la division globale du travail qui a aidé à réduire la pauvreté et créer de la richesse : la Chine fournit une production à plus faible valeur ajoutée. Les composants des IPods et Iphones d’Apple sont assemblés en Chine, mais leurs designers en Californie sont la vraie valeur de l’entreprise. Le danois Ecco dispose d’usines à travers l’Asie mais ses meilleures chaussures sont toujours dessinées et fabriquées en Europe, où la qualité est garantie et le facteur travail très bien formé – et bien mieux payé.
La Chine n’est pas devenue un acteur clé du commerce mondial par hasard. Elle a capitalisé sur la nouvelle réalité des chaînes globales logistiques et de production : depuis 1983 elle a réduit de manière unilatérale les barrières au commerce international, réalisant qu’elles nuisaient essentiellement à la Chine elle-même. Il est vrai que les politiques commerciales chinoises sont loin d’être parfaites. Mais elles ont largement et rapidement libéralisé, ce qui explique le rôle majeur du pays dans l’offre et la production mondiales.
Le calcul de qui gagne le plus des exportations demeure problématique. Les biens intermédiaires sont envoyés en Chine de pays tels que le Japon, Taïwan, Singapour, l’Australie et les USA, pour y être assemblés, emballés et exportés. Lorsque ces marchandises quittent les ports de Shangaï, Tianjin, ou Guangdong pour l’export, les règles simples de comptabilité attribuent la valeur totale de ces exportations à la Chine, même lorsque la « valeur chinoise » intégrée dans ces marchandises ne représente qu’une fraction du total.
La méthode de comptabilité permet d’expliquer pourquoi les exportations de la Chine ont explosé ces dernières années, alors que la division du travail évoluait et que proliféraient les chaînes mondialisées de production. Une étude économique récente à l’Université de Californie conclut que la valeur ajoutée chinoise dans un IPod Apple de 30 Go représente seulement 4 dollars sur un coût de 150 dollars, et pourtant le montant total est comptabilisé comme une exportation chinoise. D’autres études estiment que globalement la valeur ajoutée chinoise dans tous les produits exportés de Chine oscille en moyenne entre 35 et 50 %, une proportion importante mais bien moindre que ce que les chiffres bruts d’exportation ne l’impliquent.
Effectivement, comme l’a déclaré récemment Volker Treier, économiste de la Chambre d’Industrie et du Commerce allemande, « si la Chine croît, cela pousse l’économie mondiale – et c’est aussi bon pour l’Allemagne qui est elle aussi tournée vers l’export ».
Alors que nous considérons le nouveau statut de la Chine en tant que leader des exportations mondiales, il est important de saisir ce que cela signifie. Ces chiffres parlent de manière bien plus convaincante des vertus de l’interdépendance économique que des prouesses de la Chine seule en matière d’exportations. Ces chiffres pointent en fait vers les opportunités pour tous de rejoindre l’économie mondiale.
Daniel Ikenson et Alec van Gelder sont respectivement analyste au Cato Institute à Washington DC et directeur de projet à l’International Policy Network à Londres.