Proust a fait de la scène finale de ce roman un pastiche. Ce n'est pas la seule chose qu'il ait reprise à Balzac, pour qui son personnage, le baron de Charlus, éprouvait beaucoup d'admiration. La scène de séduction du narrateur par Charlus, par exemple, est calquée sur celle de Lucien de Rubempré par Vautrin (voir ici).
A la fin d'Une ténébreuse affaire, donc, on se retrouve dans un salon parisien, des dizaines d'années après les faits qui constituent l'intrigue principale du roman. De Marsay, devenu premier ministre, raconte le dessous des choses. Il y a deux épisodes.
Dans le premier, quatre gentilshommes émigrés, qui ont conspiré contre Napoléon, sont sauvés par leur cousine. Mais elle a le tort d'humilier en passant Corentin, créature de Fouché et policier génial. Ça s'était passé juste avant la bataille de Marengo. Bonaparte, premier consul, était attendu au tournant. S'il perdait la bataille, ses alliés, dont Fouché et Talleyrand, étaient tout prêts à se retourner contre lui, et par exemple à rappeler les Bourbons. Ils s'étaient alliés à Malin, lequel avait fait les proclamations imprimées.
Mais Napoléon vainc. Pour se débarrasser des preuves, et voici le deuxième épisode, Fouché fait enlever Malin par par son homme de main génial, Corentin, qui fouille le château et détruit les papiers compromettants.
Cette histoire, Balzac l'a prise dans l'Histoire. La mésaventure était arrivée non pas à Malin, personnage inventé, mais au sénateur Clément de Ris.
Seulement, Balzac brode, entremêle la grande Histoire à la petite, personnelle, domestique, montre l'influence qu'a celle-là sur celle-ci. Il invente que subtilement, Corentin fait porter le chapeau aux quatre jeunes aristocrates et à leur fidèle domestique. Michu est exécuté. Les gentilshommes doivent s'engager dans l'armée impériale pour avoir la vie sauve. Trois périssent, l'un est blessé.
C'est génial. Un brassage, un talent pour l'intrigue, un montage subtil, des portraits extraordinaires, toute cette vie balzacienne.
Mais quand même, quelque chose m'agace. Une idéologie qui s'incarne dans un personnage. Michu. Le domestique qui s'est sacrifié pour ses maîtres, s'est fait passer ou un jacobin, a voulu racheter leur château pour eux, a tenté de tuer Malin qui le lui a soufflé, et finalement meurt sur l'échafaud de façon édifiante, heureux de le faire pour eux, quoique innocent, s'étant sacrifié complètement, n'ayant d'autre existence que la leur, n'étant que l'ombre de leur ombre, de leur main, de leur chien.
Je déteste ce mépris de Balzac pour les petites gens, et principalement pour les paysans, gens négligeables qui ne peuvent selon lui avoir une valeur que s'ils se dévouent entièrement à leurs maîtres, se sacrifient pour eux, deviennent leurs esclaves, leurs objets.