La Chine a connu ces dernières années le développement le plus rapide
de l’histoire du capitalisme. Son PIB serait passé de 1% du PIB mondial
en 1975 à 6,5 % aujourd’hui. Ce pays plus connu par rapport à sa masse
démographique qui dépasse le milliard est désormais la quatrième
puissance du monde derrière les États-Unis, le Japon et l’Allemagne. À
travers un programme économique ambitieux et volontariste, les Chinois
ont pu se hisser dans le gotha des grandes puissances en faisant mentir
clichés et préjugés. Il n’y a pas longtemps, on se gaussait, en
Occident, des maladresses de sous-développé du « chinois à Paris » et,
au mieux, la vision de la Chine était celle d’une population féodale et
guerrière suivant le modèle hollywoodien diffusé sur nos écrans,
version « terreur à Mandchourie ».
Il se trouve qu’après avoir été «
l’atelier du monde », la Chine veut en devenir, selon le mot d’un
économiste français, le laboratoire. Au pays du textile, on a,
semble-t-il, en horreur les étiquettes et on ne se fixe pas de limites
dans les ambitions de grandeur.
En témoignent les dépenses effectuées dans la recherche et le développement qui atteindront 2% du PIB de ce géant de l’Asie.
Mais
le moteur de cette croissance n’est ni plus ni moins que la qualité
accélérée de l’enseignement universitaire qui produit avec le Japon et
l’Inde les meilleurs cerveaux d’Asie. L’exemple de la Chine montre
qu’il ne saurait avoir transformation de société sans une masse
critique de gens bien formés sous un leadership étatique éclairé et
volontariste.
Une société atteint une certaine maturation politique
et sociale quand elle parvient à se fixer des objectifs et un horizon
commun qui font le destin des grandes nations, et l’un d’entre eux est
de «former des filles et des fils, libres et forts ». La Chine qui
compte le plus grand nombre d’étudiants au monde se rapproche, selon un
chroniqueur de la presse spécialisée, des Etats-Unis en termes du
nombre de chercheurs.
Le pays s’est placé depuis quelque temps dans
une position respectable dans le domaine de la recherche spatiale et de
la création de parcs scientifiques qui piquent la curiosité des experts
occidentaux. Et le budget chinois est planifié pour servir les intérêts
vitaux du pays dans le domaine de la recherche fondamentale et des
entreprises à haute valeur ajoutée. L’État chinois, maître d’œuvre de
ce chantier historique, travaille dans une synergie exemplaire avec un
secteur privé dont les redoutables managers allient, avec efficacité,
les connaissances managériales occidentales avec les enseignements de
Sun Zu ou de Lao Tseu.
Le modèle chinois, comme tant d’autres en
Asie, a montré l’importance de l’enseignement supérieur de qualité dans
les progrès d’une nation qui veut émerger du sous-développement. Et mon
inquiétude est que la crise permanente à l’Université d’État d’Haïti
est un signe que nous abdiquons notre « souveraineté académique » au
profit de pays voisins qui deviennent les destinations universitaires
de la région. Savez-vous que les gens les plus humbles épargnent
aujourd’hui pour que leurs enfants aillent étudier en République
dominicaine…et ils sont loin d’être des « élites machann peyi ». La
nature ayant horreur du vide, des réfugiés académiques ne manqueront
pas de s’ajouter aux vagues successives de réfugiés économiques.
La
contestation permanente au sein de l’UEH sans espoir de négociation
constitue un goulot d’étranglement pour tout le système éducatif déjà
fortement atteint de débilité et cette « danse de scalp » de quelques
étudiants face à un leadership universitaire en déroute peut entraîner
une migration non souhaitée de nos meilleurs praticiens qui veulent
faire encore de la formation universitaire.
Il n’y a pas longtemps,
Haïti comptait assez de juristes brillants pour repenser, sans aide
externe, son système judiciaire…. Aujourd’hui, il faut l’aide des «
pays amis » dans un domaine aussi sensible comme si nous étions une
toute jeune République sans grand passé dans ce domaine. Le départ
forcé de nos meilleurs enseignants et universitaires a constitué, dans
les années 60, un crime de lèse-majesté contre notre patrie. Vingt ans
après la « révolution démocratique », nous poursuivons l’exclusion avec
des armes plus «juvéniles ». Et pourtant on compte parmi les étudiants
les plus vocaux de fougueux partisans de la souveraineté nationale et
de l’inclusion.
Mais cette souveraineté risque d’être chaque jour
plus chimérique si l’Université se transforme en un chaos sans fin,
c’est comme si nous devenions une nation sans « tête ».
Roody Edmé