Depuis l’ère Bush, les gouvernements étasuniens ne cessent de titiller le gouvernement chinois au sujet du rapport de valeur entre leurs devises, prétextant le plus souvent que les autorités de Beijing manipulent leur propre monnaie. Les Étasuniens fondent leur demande sur le fait que les prix d’exportation chinois lèsent leur propre économie en tuant l’emploi aux É-U.
Ils mettent tellement de poids sur cette question, qu’à la lo
ngue on finit par croire qu’ils ont la raison de leur côté.J’ai fini par m’impatienter, et j’ai cherché comment il était possible d’affirmer qu’une monnaie est sous-estimée ou surestimée. J’ai trouvé quelques travaux qui proposent des méthodes, toutes aussi contestables les unes que les autres, et débouchant sur des résultats trop différents pour qu’on puisse les prendre en considération. J’ai fini par conclure que ce calcul était en fait impossible, car selon les paramètres économiques pris en considération pour réaliser cette estimation, on peut passer de la conclusion d’une sous-estimation à celle d’une surestimation pour une monnaie donnée par rapport à une autre.
En second lieu, ces paramètres entretenant entre eux des relations tellement différentes d’un pays à l’autre, je pense que toute comparaison est impossible entre deux monnaies, à moins que ces pays n’aient strictement le même système économique, et ce, dans les moindres détails. Ce n’est pas le cas ici, de toute évidence. On peut tout au plus considérer que les prix sont plus chers ou moins chers dans un pays que dans un autre, selon les produits comparés.
Voici un exemple très simple. Lorsque je suis venu m’installer au Québec, j’ai observé que les fromages étaient beaucoup plus chers ici qu’en France, mais qu’en revanche, c’était le contraire pour la viande. Aurais-je dû supprimer ma consommation de fromage et la remplacer par une consommation de viande ? Et depuis j’ai fait des constatations analogues pour de nombreux autres produits.
Bien sûr, on sait que la Chine n’a pas mis sa devise sur le marché des changes comme tous les pays occidentaux l’ont fait depuis plusieurs décennies sous la pression étasunienne. Ils ont préféré articuler leur devise sur la base d’un panier de monnaie dont ils modifient la composition selon l’évolution de la conjoncture. C’est une méthode bien plus pragmatique que celle d’une bourse qui fait varier les cotations comme une adjudication de tableaux de maîtres. Depuis deux à trois ans cependant, les Chinois maintiennent un taux presque constant du yuan par rapport au dollar. En fait depuis que les Étasuniens ont commencé à leur chercher des poux dans la tête. Je pense que c’était pour leur montrer qu’ils n’appréciaient pas les critiques malencontreuses. C’était sans doute une forme de sanction…
D’ailleurs, les Occidentaux ont-ils eu raison de créer des bourses de change, et de considérer ainsi les monnaies comme des marchandises ordinaires. Je n’en suis pas du tout sûr. Et même, je suis plutôt sûr du contraire, car marchandiser les monnaies, c’est ipso facto ouvrir un marché supplémentaire de spéculation au sein du secteur financier de l’économie. Or, spéculer sur les monnaies me parait être la plus mauvaise action économique qui soit pour conserver une stabilité financière mondiale.
Si l’euro n’avait pas été côté en bourse, le problème de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne ne se serait pas posé. On aurait simplement dévalué l’euro, et puis c’est tout. L’affaire aurait été classée en une soirée de financiers européens, et tous les exportateurs européens de quelque pays qu’ils soient se seraient frotté les mains.
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Le problème du yuan n’est donc pas un problème économique, mais un problème politique. Pour les É-U, en faire un problème est une façon de faire semblant de ne pas entendre que la planète entière veut éliminer le dollar de sa position abusive de monnaie mondiale. Ils ne réussiront certainement pas de cette manière à sauver le statut de leur devise. Il est trop tard, mister Obama !
En fait, si les É-U ont des problèmes économiques, ils en sont les seuls responsables. Avec leur obsession de la mondialisation, destinée à leur assurer des prix d’importation favorables en délocalisant leurs usines à fort coefficient de main d’œuvre, ils se sont piégés eux-mêmes par pure prétention. Ayant été un moment en pointe dans l’avancée technologique de la planète, ils ont cru que cela ne tenait qu’à une plus grande intelligence de leur part, que celle des autres pays, et que ce serait un jeu d’enfant pour eux que de maintenir cette avance.
L’histoire récente a démontré le contraire, et ils se retrouvent aujourd’hui avec une industrie ayant perdu environ 40% de potentiel par délocalisation pure et simple. À partir de cette manne inattendue, les pays émergents ont parfaitement su développer leurs propres technologies sur le terreau d’usines toutes faites, et devenir plus inventifs encore que leur compétiteur. Les Étasuniens en ont profité pendant une dizaine d’années, par des importations bien moins chères que leurs propres productions antérieures, mais suscitant par là même de nouvelles délocalisations, nécessaires celles-ci, en raison de la concurrence étrangère qu’ils se sont créée à eux-mêmes, se jugeant forts d’une culture économique à toute épreuve. C’est souvent ce qui peut se passer lorsqu’on se croit plus malin que les autres.
Si les É-U veulent contrarier cette évolution, la seule solution serait qu’ils recommencent à construire des usines produisant les produits importés qu’ils trouvent actuellement “ trop bon marché “. Mais c’est un peu tard aujourd’hui. Il leur faudrait commencer par réduire très largement leur niveau de vie actuel, c’est-à-dire leurs salaires, pour que leurs prix puissent être abaissés au niveau de ceux des produits qu’ils importent aujourd’hui.
Difficile ! Certain ! Impossible ! Sûrement !
Les Étasuniens sont tout simplement en retard d’un coup dans la compétition internationale, et les Chinois en avance d’un coup. Avoir l’expérience du jeu de go est plus profitable pour l’esprit que celle du jeu d’échec. Les É-U n’ont peut-être pas compris, ou ont peut-être oublié, que ce qui avait fait leur réussite, spectaculaire il faut bien le reconnaître, avait été leur foudroyante immigration.
Ils importèrent en effet de la main-d’œuvre pas chère pendant deux siècles, dont les esclaves achetés en Afrique, ce qui leur permit de constituer de décennie en décennie, un marché de 300 millions de consommateurs, source d’un enrichissement rapide à partir d’un continent presque désert.
Deng Xiao Ping reprendra ce même modèle pour la Chine, mais sans immigration autre que les seules migrations internes, les paysans du sud envahissant la zone côtière du pays.
Mais aujourd’hui, c’est la Chine qui possède un marché de 1400 millions de consommateurs, presque cinq fois plus important que le leur, et elle s’empresse, grâce à la crise, de le remplir à toute allure de produits “made in China“. Personne n’est aujourd’hui en mesure de l’arrêter. Il reste à espérer qu’elle sache utiliser ses atouts pour un meilleur équilibre de la planète. J’ai bon espoir que l’avenir se construise dans ce sens-là, si j’en crois la sagesse de sa pensée plurimillénaire
À moins qu’un jour, les Chinois ne deviennent à leur tour aussi prétentieux…
© André Serra
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Cet article répond aux règles de la nouvelle orthographe