Ce soir un grand seigneur de la mode vient de tirer sa révérence au monde, au monde cruel de la mode, mais surtout au monde. Je n'ai pas pour habitude de faire ici des oraisons funèbres à la gloire de célébrités; parce qu'en général, quitte à disséquer la vie de parfaits inconnus sous prétexte qu'ils sont célèbres, autant le faire en toute légèreté et autant avoir la décence de leur laisser retrouver leur humanité, leur dignité et leur intimité dans la mort; parce que les larmes et la douleur n'appartiennent qu'à ceux qui les ont réellement chéris, ceux qui ont leur vie brisée par la disparition de l'être cher et qui s'en foutent royalement qu'il s'appelle Michael Jackson ou Farah Fawcett... et leur voler la primauté de ces larmes là, ce serait baillonner leur tristesse et étouffer leur douleur derrière une icône fabriquée par un fantasme collectif.
C'est normalement ce que je fais. Je tâche dans mon coin de laisser partir l'être humain.
Mais pas ce soir. Ce soir je ne peux pas.
Ce soir ce n'est pas une célebrité qui s'en va. Ce soir ce n'est pas même un grand créateur, ni même un styliste de génie. Ce soir c'est la clef de vôute de mon univers créatif qui s'effondre, un être qui a façonné mon sens esthétique, m'a fait rêver, sourire, et m'a emerveillé vient de me quitter...
Et quelque part je me sens orpheline et quelque part une partie de moi vient de cesser de sourire définitivement et vient de s'éteindre et de s'en aller avec le trublion qui lui insufflait un souffle magique et l'animait de mille et un émerveillements...
Alexander McQueen était mon créateur préféré, parce qu'il ne se prenait pas au sérieux, parce qu'il avait un humour décapant, parce qu'il faisait un pied de nez aux codes parfois guindé de la mode, parce qu'il avait un univers hors du commun et parce qu'il donnait vie à de douces folies en les appelant vêtements.
Ce soir je découvre avec tristesse que celui qui m'enchantait était rongé par le désespoir. Ce soir mon roi est mort, le roi est mort...et il n'ya plus de trône.
La Souris Teigneuse